Alors que les débats sociologiques voient s’opposer les tenants de la thèse d’un « désenchantement du monde » (Marcel Gauchet) à ceux d’une « désécularisation du monde » (Peter Berger), les établissements de santé constituent un espace propice à l’observation des liens en mutation qu’entretient le corps social avec le fait religieux.
Les établissements de santé – a fortiori publics – ont ceci de particulier qu’ils se trouvent au point de rencontre entre les idéaux les plus achevés de la modernité – science, neutralité… – et les marques de l’intime – dont le religieux – qui s’expriment de manière aiguë dans les moments charnières de l’existence : naissance, maladie, fin de vie.
Le dossier de Gestions hospitalières de ce numéro de mai 2025 entend proposer un tour d’horizon des relations complexes entre hôpital, religions et croyances.
Dans une perspective d’abord historique, ses contributeurs – tous élèves directeurs d’hôpital de la promotion Clémentine-Vergnaud (2024-2025) de l’École publique de la santé publique (EHESP) – retracent la longue histoire des liens entre religions et hôpital, de l’Antiquité à nos jours. Dans cette même lignée sont traités les enjeux les plus actuels de la valorisation du patrimoine religieux hospitalier, legs et témoins de cette continuité. Sur le plan juridique, une synthèse actualisée revient sur la problématique, parfois polémique, du port des signes religieux à l’hôpital public.
L’accompagnement spirituel, assuré notamment par les aumôniers hospitaliers, fait l’objet d’un éclairage particulier : le cadre juridique et les pratiques des aumôneries sont analysés, complétés par un entretien avec Luc Charles, aumônier national bouddhiste – représentant la dernière aumônerie officiellement reconnue par les pouvoirs publics.
Ce dossier explore d’autres croisements entre soins et spiritualité. C’est le cas de la circoncision, abordée sous ses aspects juridiques, philosophiques et pratiques, ou de la fin de vie, dont le débat public s’empare et qui demeure un point d’attention pour les cultes. Les salles mortuaires, quant à elles, illustrent les évolutions contemporaines du rapport à la mort, entre sécularisation et persistance du religieux.
Autre sujet : la problématique du conflit potentiel entre les nécessités du soin et les croyances au sens large – pas exclusivement religieuses –, dans un article relatif aux dérives sectaires et aux thérapies non conventionnelles.
Ce tour d’horizon essentiellement national s’enrichit par des approches internationales : l’équilibre précaire entre recherche de la neutralité et prise en compte de la diversité est analysé à nouveaux frais grâce aux exemples anglais et italien. Quant au développement du métier d’intervenant en soins spirituels au Québec, depuis les années 1990-2000, il permet d’interroger les modalités de l’accompagnement spirituel proposé aux patients dans le contexte hospitalier français.
Ce dossier se termine sur la prise en compte de la diversité religieuse par le manageur hospitalier à travers la mise en application du principe de laïcité, fondement du vivre-ensemble à l’hôpital public et dans la société.