Numéro 618 - septembre 2022(dossier)

Investir dans l’hôpital en 2022

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Investir dans l’hôpital en 2022

Comment et pourquoi…

L’investissement est la respiration du système hospitalier, le gage de son aptitude à s’adapter et à se transformer (1). Cette assertion sur les vertus de l’investissement hospitalier formulée en 2013 est aujourd’hui confortée par le plan de relance de l’investissement (2), inscrit dans le Ségur de la santé et dans France Relance à hauteur de 19 milliards d’euros sur dix ans composé de 9 milliards pour financer les grands projets et l’investissement du quotidien dans les établissements de santé, 6,5 milliards pour le désendettement des hôpitaux, 1,5 milliard pour la modernisation des Ehpad et 2 milliards pour le numérique. 

Cette relance marque la continuité, d’une part de la priorité donnée à la prise en charge des soins au regard de l’engagement dans la prévention, d’autre part d’une politique cyclique d’investissements majeurs dans l’hôpital.

Un investissement justifié

 Si la nécessité de répondre aux besoins criants des établissements n’est pas discutable, il est cependant clair que le faible engagement en matière de santé publique a des conséquences lourdes à terme sur le système de soins. En 1778, déjà, les Encyclopédistes affirmaient qu’un moyen sûr d’augmenter les revenus présents des hôpitaux, serait de diminuer le nombre des pauvres. Cette idée qui consistait à prévenir la misère plutôt qu’à multiplier les asiles aux misérables fut reprise de façon extrême par le Comité de mendicité qui préconisa en 1789 la fermeture des hôpitaux. Geste excessif bien sûr et vite rapporté, mais qui doit nous rappeler que l’éducation, la prévention et la réduction des inégalités sociales sont des fondamentaux d’un système de santé efficient. En ces temps de remise en cause de notre modèle de croissance, alimentation, addictions, mobilité, exposome (3) devraient être au rendez-vous de l’investissement de la Nation au même titre que les établissements de santé.   

De la même façon, la volonté affichée dans la loi de modernisation de notre système de santé d’instaurer une médecine de parcours dans laquelle l’hôpital ne serait plus le centre mais une étape de la prise en charge des patients (4) devra surmonter de nombreux obstacles pour se concrétiser et dans l’attente investir dans l’hôpital demeure une impérieuse nécessité. La pandémie de Covid-19 a en outre mis à jour la faiblesse d’un modèle concentré fonctionnant à flux tendu.

Un investissement cyclique

L’investissement hospitalier se caractérise en effet aussi par des cycles qui ne sont pas sans rappeler le mouvement du yoyo. Ainsi, le plan Hôpital 2007 (18 milliards d’euros sur la période 2003-2011, avec un pic de 2,4 milliards d’euros en 2009) répondait-il déjà à une demande insistante des établissements de santé de soutien à l’investissement après la longue atonie qui avait suivi les constructions des années 1970/1980, elles-mêmes engagées devant le constat d’un parc hospitalier totalement inadapté aux évolutions médicales et hôtelières (plateaux techniques et accueils d’urgence restreints, salles communes conçues à la fin des années 1930, reconstructions d’après-guerre). Le plan de relance actuel n’échappe pas à cette règle après des temps de faible investissement liés aux efforts budgétaires consentis par les établissements sur fond de réduction massive des capacités d’accueil et d’hébergement au profit de l’ambulatoire et des regroupements. L’incapacité à dégager des marges dans un système de tarification n’incluant pas la totalité des coûts d’investissement et n’ayant pas vocation à l’inclure pour les opérations lourdes et restructurantes, le niveau d’endettement engendré par le précédent plan, l’obsession du retour sur investissement (ROI) (5) dans la procédure Copermo instaurée pour valider les projets, sont autant d’éléments qui expliquent la chute du niveau d’investissement au cours de la dernière décennie et la nécessité d’une relance sur de nouvelles bases.

Chaque cycle est marqué par des modes et conceptions architecturales répondant aux préoccupations du moment mais susceptibles d’engager fortement les possibilités d’évolution à venir, ce qui introduit alors l’éternel débat entre restructuration et reconstruction. L’attente est donc forte d’un hôpital enfin évolutif.

C’est donc bien la continuité qui marque et caractérise cette relance de l’investissement hospitalier, les mêmes causes produisant les mêmes effets, avec naturellement des évolutions tirées des enseignements des programmations antérieures et la nécessité de répondre à de nouveaux défis. 

Le financement et la gouvernance 

À mesure de la médicalisation et du développement de l’hôpital moderne et des systèmes de protection sociale, la charité et les donateurs se sont effacés au profit d’apports institutionnels au financement des grands investissements hospitaliers. Le renouveau des fondations et fonds de dotation (6) récemment initiés par les hôpitaux ne remet pas en cause cette évolution mais vient l’enrichir. Les plans Hôpital 2007 et 2012 ont été essentiellement construits sur des autorisations à emprunter accordées aux opérateurs alors qu’antérieurement le régime des subventions venait atténuer la charge d’emprunt sagement plafonnée à 60% de la dépense. Le montage classique reposait sur le triptyque subvention de l’État, prêt sans intérêt de l’assurance maladie, autofinancement. Le plan de relance revient vers ces apports plus sécurisants en accompagnant le désendettement pendant que les collectivités territoriales s’invitent progressivement à la table des investisseurs. Il illustre aussi la volonté de l’État de contrôler les opérations restructurantes en sa qualité de régulateur, d’organisateur jusqu’à se transformer en gestionnaire (7). Ce positionnement est une constante depuis la structuration d’un bureau des constructions hospitalières au sein du ministère dès 1948, puis du service des constructions et de l’équipement (1970-1991) en passant par la création de la Mission nationale d’appui à l’investissement (Mainh), de la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (Meah) et du Groupement pour la modernisation du système d’information hospitalier (GMSI) pour accompagner les plans Hôpital 2007/2012 jusqu’à la mise en place du dispositif du plan de relance articulant Direction générale de l’offre de soins (DGOS), l’Agence des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) et les agences régionales de santé (ARS) tout en sollicitant plus largement l’expertise des professionnelles à travers le Conseil national pour les investissements en santé (CNIS) et son Conseil scientifique (CSIS).

La maîtrise d’ouvrage et la question patrimoniale

Cette ingérence de l’État se retrouve également dans la maîtrise d’ouvrage des opérations. Il n’est évidemment plus question de revivre les années 1970-1985 qui virent la maîtrise d’ouvrage déléguée par l’hôpital à la Direction des hôpitaux qui lança des concours de conception-construction pour des hôpitaux types :

  • le type Beaune de 300 lits (9 exemplaires de 1969 à 1975) ;
  • le type Fontenoy de 500 lits (8 exemplaires de 1973 à 1980) ;
  • le type Duquesne de 300 à 400 lits, (11 exemplaires de 1976 à 1985) ;

les unités de soins normalisées (USN) créées en 1970, destinées à désencombrer les hôpitaux existants en ajoutant des unités hospitalières (H), personnes âgées (V 120 ET V 240), psychiatrie (P).

Les hôpitaux ont depuis acquis leur propre expertise technique et ont pu utiliser la boîte à outils accompagnant le plan Hôpital 2007 dont la conception-réalisation-maintenance et le bail emphytéotique hospitalier (Beah). Les déboires de quelques opérations menées dans ce dernier cadre de partenariat public/privé ont cependant conduit à progressivement l’écarter (8). De la même façon, la question de la séparation investissement/exploitation, à l’exemple des foncières du secteur de l’hospitalisation privée ou de la douloureuse séparation SNCF/RFF de 1996, n’a pas convaincu les établissements hospitaliers publics, pas plus que l’idée de mutualiser les patrimoines à l’échelle nationale jugée contre-productive au nom du principe de subsidiarité (9).

Si les défis sont nombreux, l’investissement premier est humain et repose sur la compétence des professionnels de santé sans laquelle l’outil resterait orphelin.

Les délais

Les promoteurs du plan Hôpital 2007 avaient ainsi souhaité l’accompagner d’outils facilitant sa mise en œuvre, notamment pour réduire les délais de réalisation, partant du constat qui veut que les établissements de santé qui s’inaugurent portent les modèles de conception d’organisation ancienne, déjà dépassée lors de la mise en service. Constat historiquement persistant si on se réfère au passé, par exemple à l’hôtel-Dieu de Rouen dont les travaux de construction du bâtiment débutent en 1580, au moment de la réapparition de la peste, pour reprendre en 1654 ; ce n’est pourtant que le 17 juillet 1758 qu’arrivent les premiers malades. Plus près de nous, le délai de réalisation de l’opération « Bocage 2000 » du CHU de Dijon (10) illustre de façon moins caricaturale la réalité du temps long des grandes opérations d’investissement, avec un programme technique initial de 1996 finalisé en 2001 pour une mise en service en décembre 2010. 

Territoire et patrimoine

Il ne peut enfin être question d’investissement hospitalier sans référence à la question patrimoniale et aux 60 millions de mètres carrés de surface construite pour l’ensemble des établissements publics de santé. La pression de l’État pour mobiliser le foncier public, la prise de conscience de la nécessité de valoriser le patrimoine hospitalier et celle d’en faire un levier de transformation au service des objectifs stratégiques des établissements (11) ont conduit notamment à de nombreuses cessions, dont celles des hôtels-Dieu et des dotations non affectées sont les plus emblématiques. Cependant, la valorisation du patrimoine des hôpitaux ne pouvait à elle seule résoudre la question des déficits et de l’endettement hospitaliers et du financement des investissements (12). Les concentrations et regroupements conduisent à faire le choix de nouvelles implantations et d’abandons de sites historiques, la mutualisation découlant depuis 2016 de l’organisation en groupements interhospitaliers de territoire (891 hôpitaux regroupés en 135 GHT). Les investissements hospitaliers ont en effet longtemps répondu à la fois à la permanence d’implantations historiques et à des effets d’aubaine politique interrogeant sur leur pertinence. Le plan de relance s’inscrit fortement dans cette logique territoriale visant à éviter les investissements inutilement concurrentiels sur un même territoire. Il devra garantir cependant une accessibilité équitable tout en s’attachant à la qualité et à la sécurité des soins en période de forte tension démographique. 

Les défis sont nombreux (13) – adaptabilité, flexibilité, résilience, concentration, digital, normes et objectifs environnementaux, neutralité carbone… –, mais n’oublions pas que l’investissement premier est humain et qu’il repose sur la compétence des professionnels de santé sans laquelle l’outil resterait orphelin.

À l’occasion de l’engagement de ce plan de relance, Gestions hospitalières a souhaité mettre en valeur les travaux engagés par le Conseil scientifique du Conseil national de l’investissement en santé (CNIS), sous l’impulsion du Pr François-René Pruvot, l’engagement des acteurs publics (DGOS, Anap, CNSA, ARS) et des professionnels des établissements, et ouvrir la réflexion sur les évolutions attendues en matière d’investissement d’avenir. Gageons que l’expertise acquise par les acteurs de ce plan de relance sera elle-même un investissement exportable.

Jean-Michel Budet
Directeur de la rédaction Gestions hospitalières

 


(1) Rapport Igas/IGF, « Évaluation du financement et du pilotage de l’investissement hospitalier », mars 2013. www.igas.gouv.fr

(2) « Investir pour la santé de tous », dossier de presse, 20 octobre 2021. solidarites-sante.gouv.fr

(3) « Ambiance ta life : c’est quoi l’exposome ? », 29 novembre 2021 – www.inserm.fr 

(4) « Parcours de santé, de soins et de vie. Une approche globale au plus près des patients », 3 mars 2022 – solidarites-sante.gouv.fr

(5) Le calcul du ROI ne peut être le critère unique pour apprécier la pertinence d’un projet et l’opportunité de l’aider. Cf. « Évaluation du financement et du pilotage de l’investissement hospitalier »,mars 2013, t. 1, p. 4 – www.igas.gouv.fr

(6) N. Truffinet, « Fondation hospitalière et fonds de dotation : de nouveaux outils pour financer la recherche à l’hôpital », Les Tribunes de la santé, n°65, mars 2020, p. 103-110.

(7) « En matière d’investissement hospitalier, le rôle de l’État a toujours été ambigu : l’autonomie est de droit, l’ingérence permanente est de fait. » Jean de Kervasdoué, « Cela ne changerait rien au fond du problème », La Croix, 18 novembre 2011 – www.la-croix.com 

(8) Cour des comptes, « Les partenariats public/privé du plan Hôpital 2007 : une procédure mal maîtrisée », rapport public 2014, tome 1 – www.ccomptes.fr

(9) Rapport Igas/IGF, « Évaluation du financement et du pilotage de l’investissement hospitalier », mars 2013. www.igas.gouv.fr

(10) Conseil immobilier de l’État, « Avis 2013-23 sur la stratégie immobilière du CHU de Dijon », n°2013-23, séance du 13 novembre 2013 –www.economie.gouv.fr 

(11) Anap, « Dynamisation des actifs immobiliers des établissements sanitaires et médico-sociaux », 4 tomes – anap.fr

(12) Cour des comptes, – « La gestion du patrimoine immobilier des CHU affecté aux soins », 2013. – Rapport public annuel, « Le patrimoine immobilier des hôpitaux non affecté aux soins », 2012. www.ccomptes.fr

(13) Cf. Thierry Courbis, « Pour des environnements de vie “hospitaliers” favorables à la santé », Gestions hospitalières, avril 2021, n°605 – gestions-hospitalieres.fr