Numéro 631 - décembre 2023(dossier)

L’hôpital au rapport

Temps de lecture : 5 minutes

Au rapport, citoyen !

Le marronnier de Gestions hospitalières qu’est « L’hôpital au rapport » refleurit en ce mois de décembre 2023, devançant le célèbre « marronnier du 20 mars » du jardin des Tuileries, dont le fleurissement annuel précoce était dû, selon la légende, à l’enfouissement sous ses racines des dépouilles de deux des 300 gardes suisses massacrés le 10 août 1792. Le marronnier des Suisses devint le « marronnier du roi de Rome » lorsqu’il eut le bon goût de fleurir le 20 mars 1811, jour de la naissance du fils de l’empereur. L’arbre finit par mourir en 1911. Ses successeurs s’emploient à reproduire l’exploit. En 2023, les bosquets des Exèdres du jardin des Tuileries ont retrouvé leur éclat après une restauration complète. Cent trente-cinq nouveaux arbres ont été plantés dans des sols régénérés : érables de Montpellier, noyers d’Amérique et magnolias de Kobe ont ainsi rejoint les marronniers d’Inde, chers à André Le Nôtre. Le culte du marronnier va donc pouvoir perdurer.

La production de rapports concernant plus ou moins directement l’hôpital n’a pas faibli en 2023. Rien d’étonnant à cela au regard de la crise que traverse le système de santé, à laquelle tout un chacun pense pouvoir apporter diagnostic et médication. La sélection s’avère, dans ces conditions, difficile tant la production est importante et les auteurs nombreux. Les choix opérés dans cette forêt de rapports se veulent, à défaut d’exhaustivité, représentatifs des préoccupations qui marquent l’hôpital et son environnement. La question demeure cependant, bien que cela ne semble décourager ni les auteurs ni les commanditaires de leur finalité, de leur usage, de leur utilité avec, en toile de fond, une nouvelle préoccupation qui s’impose, celle de la légitimité.

Tout comme pour les sols du jardin des Tuileries, il est ici question de régénération de l’action publique et de démocratie participative. Si l’essentiel de la production de rapports reste le fait d’institutions bien établies, l’injonction participative, censée redonner du pouvoir aux citoyens et considérée comme le principal remède à la crise de notre démocratie représentative, fait son chemin. De la plus petite commune rurale au plus haut sommet de l’État, chaque institution y va de son dispositif : conventions citoyennes, budgets participatifs, ou autres consultations en ligne. Ainsi a été mise en place une plateforme citoyenne de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes, permettant à chacun de proposer des thèmes de contrôle et d’enquête pour les juridictions financières. « L’idée est ainsi d’associer les citoyennes et citoyens très en amont, dès le choix des sujets de contrôle. » L’État, quant à lui, avec sa direction interministérielle de la transformation publique, se propose d’associer les citoyens à l’élaboration des politiques publiques : le Centre interministériel de la participation citoyenne (CIPC) offre un accompagnement stratégique et méthodologique aux ministères et aux services de l’État qui souhaitent associer les citoyens à l’élaboration des politiques publiques, garantissant ainsi à cet accompagnement un cadre de participation sincère, transparent et rigoureux. De la même façon, le Sénat, l’Assemblée nationale et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) mobilisent la participation citoyenne.

Convaincu qu’il est possible d’articuler démocratie représentative et démocratie participative sans les opposer, le Sénat a multiplié les initiatives visant à renforcer la place des citoyens dans la procédure parlementaire et a lancé, dès 2007, des espaces participatifs en ligne permettant de recueillir les avis, les attentes et les propositions des citoyens souhaitant apporter leur contribution : entre 2018 et 2022, treize consultations ont ainsi été ouvertes sur des sujets variés.

Le CESE, dont l’existence est régulièrement mise en cause, a retrouvé une certaine légitimité dans la consultation citoyenne. Troisième assemblée constitutionnelle de la République, le CESE conseille le gouvernement et le Parlement, participe à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques et se positionne comme « le lieu privilégié d’expression de la participation citoyenne ». La loi prévoit en effet que toute personne à partir de 16 ans peut le saisir par le biais d’une pétition ayant réuni 150 000 signatures. En outre, le CESE assure une veille des pétitions – petitions.lecese.fr –qui ne lui sont pas directement adressées, afin d’observer les attentes de la société entrant en convergence avec son champ de compétences et de détecter les pétitions qui ne remplissent pas les conditions légales de saisine automatique. Depuis 2017, le CESE a ainsi adopté dix avis et résolutions sur des sujets issus de pétitions citoyennes. En 2021, les citoyennes et citoyens du collectif Vaccination mis en place par le CESE ont produit des recommandations afin de répondre aux questions posées par le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale.

La question de la fin de vie est à cet égard emblématique d’une volonté d’accompagner les rapports publics et des experts d’un regard citoyen. Déjà en février 2015, les internautes avaient pu participer à la première consultation citoyenne de l’Assemblée nationale en donnant leurs avis et observations sur la proposition de loi relative à la fin de vie présentée par Alain Claeys et Jean Leonetti. Le rapport de la Cour des comptes publié en juillet 2023 sur l’organisation des soins palliatifs et la fin de vie était destiné à l’Assemblée nationale dans le contexte du débat public sur la fin de vie. La Cour des comptes y analyse les conditions d’accès aux soins palliatifs et l’organisation administrative et sanitaire de la fin de vie. En septembre 2022, c’est un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui envisageait la dépénalisation d’une aide active à mourir strictement encadrée. Saisi par la Première ministre en octobre 2022, le CESE a associé deux démarches : une convention citoyenne pour recueillir l’avis de 184 citoyennes et citoyens tirés au sort et une commission temporaire pour porter l’avis des membres représentant les organisations de la société civile composant le CESE, pour aboutir à 13 préconisations pour l’accompagnement de fin de vie. La démocratie participative semble ainsi s’imposer comme adjuvant indispensable à la légitimation, à la régénération des auteurs des rapports publics. Cette injonction participative conçue comme un des remèdes à la crise de notre démocratie représentative mérite cependant d’être questionnée au regard des limites constatées par exemple du « Grand Débat » lancé en janvier 2019 hors du champ méthodologique de la commission nationale du débat public comme un « outil consultatif de sortie de crise » ou de la Convention citoyenne pour le climat.

Pour Manon Loisel et Nicolas Rio, chercheurs en science politique, « il est aujourd’hui nécessaire de mettre un coup d’arrêt à cette fuite en avant participative dont les fausses promesses ne font qu’accroître la défiance des citoyens. L’urgence n’est pas de (faire) participer, mais de démocratiser l’action publique en mettant fin à la surdité des institutions et en redistribuant l’accès au débat démocratique ».

L’invitation des citoyens au rapport, malgré ces constats critiques, ne devrait cependant pas faiblir dans les prochaines années, avec l’objectif tantôt d’éteindre tantôt de stimuler la rénovation publique, car les rapports constitueront toujours des éléments de gouvernance et de management, tantôt pour freiner, empêcher, tantôt pour avancer, faire évoluer l’opinion, émousser les résistances. Ils sont en cela constitutifs de la procrastination qui caractérise souvent l’action publique.

Jean-Michel Budet
Directeur de la rédaction


Pour aller plus loin

Les marronniers des Tuileries

• « Les uniformes rouges des 800 Suisses, assis ou couchés sur les paliers, sur les degrés, sur les rampes, faisaient ressembler d’avance l’escalier des Princes à un torrent de sang », Lamartine, Histoire des Girondins, 1847
• J. Macé, « Le marronnier du 20 mars », janvier 2019. www.napoleon.org
• « Le musée du Louvre inaugure les bosquets des Exèdres restaurés au cœur du jardin des Tuileries », 14 juin 2023. presse.louvre.fr
• A. Duprat, « Citoyenneté et régénération 1789-1794 », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, mars 2014, n°22. www.cairn.info

www.lecese.fr

• S. Castaigne, Y. Lasnier, « Les déserts médicaux », décembre 2017
• Session bilan du collectif citoyen vaccination, 24-25 septembre 2021
• Convention citoyenne sur la fin de vie  

www.ccomptes.fr

• Les soins palliatifs, juillet 2023
• Plateforme citoyenne de la Cour des comptes et des juridictions financières  

Participation citoyenne

• Comment redynamiser la culture citoyenne ? , février 2022. www.senat.fr
• Le Centre interministériel de la participation citoyenne. www.modernisation.gouv.fr
• La participation citoyenne : qu’est-ce que c’est ?

www.participation-citoyenne.gouv.fr

• Les rapports publics produits et mis à disposition par les acteurs publics français  – www.vie-publique.fr
• S. Viguer, « Participation citoyenne, nouveau souffle démocratique ? », 19 avril 2017 – www.lemonde.fr
• N. Rio, M. Loisel, Pour en finir avec la démocratie participative, Textuel, janvier 2024.

V. Caby, S. Chailleux, « Pour une sociologie des rapports publics. Effets symboliques et configurations d’écriture des outils d’aide à la décision », Revue internationale de politique comparée, avril 2019, vol. 26, p. 7-31.