Même en plein été, la tempête peut s’inviter au programme des vacances, comme l’a montré la dépression Patricia le 2  août dernier. L’été 2023 aura été marqué à l’hôpital par une tension toujours plus forte sur les services d’urgence. La recherche de solutions alternatives (régulation par les centres 15, téléconsultations) et la mise en place progressive du service d’accès aux soins (SAS) censées libérer l’hôpital de la pression des demandes de soins non programmées n’auront pas suffi à masquer l’impact des fermetures de service et des ruptures de tableaux de garde dans de nombreux établissements de toute taille obligeant à se contenter d’une offre de soins dégradée et à constater des carences répétées la nuit et les fins de semaine.
Dans les zones touristiques, certains services d’urgence ne parviennent plus à faire face à l’afflux de patients, encore accentué par les longs et récurrents épisodes caniculaires. Alors que l’impact de la nécessaire régulation de la rémunération des médecins intérimaires engagée au printemps se fait sentir, la multiplication des initiatives portées par la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé pour réduire la pression n’a pour l’heure qu’un effet palliatif limité, parfois contrarié par les dérives et effets d’aubaine que permet tout changement dans les pratiques : multiplication des cabines de téléconsultation, accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA), aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes, principe de responsabilité collective des professionnels de santé à la permanence des soins, tant en établissement de santé qu’en ville, rôle accru des pharmaciens (renouvellements des prescriptions, vaccination), embauche de 10 000 assistants médicaux, création de 100 « médico-bus » et de 4 000 maisons de santé publique d’ici à 2024, encouragement des communautés territoriales (CPTS), etc.Â
Dans les faits, la dégradation de l’offre de soins se poursuit, tant en ville avec six millions de citoyens, dont 600 000 sont en affection de longue durée (ALD), qui n’ont pas de médecin traitant, 87 % du territoire en zones sous-denses, 11 % de médecins généralistes en moins en dix ans, qu’à l’hôpital, confronté à l’épuisement des professionnels et à la perte d’attractivité illustrée par le constat que près d’un/e infirmier/ère sur deux a quitté l’hôpital ou changé de métier après dix ans de carrière. Quinze mille postes infirmiers vacants, une hausse des arrêts maladie, 35 agressions par jour, l’épuisement, la dépression, le burn-out constituent la toile de fond de l’exercice infirmier. Là aussi, et au-delà des mesures nées du « Ségur de la santé », les dispositions fleurissent, au niveau local comme national, dans la continuité du passage du numerus clausus au numerus apertus pour les études médicales. Ainsi, pour 2023-2024, 9 484 postes d’internes de médecine sont ouverts (+5,1 %), dont 252 sont dédiés aux étudiants ayant signé un contrat d’engagement de service public. Parallèlement, une instruction, parue le 16 août, liste les conditions nécessaires à la délivrance, de manière dérogatoire, d’une autorisation temporaire d’exercice par les agences régionales de santé (ARS) pour les praticiens à diplôme étranger.Â
Concernant ces praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE), 2 700 postes seront pourvus fin 2023. Alors que les vacances de postes de praticiens hospitaliers sont évaluées à 15 000, 10 846 postes ont été mis au concours de PH en 2023, avec seulement 3 364 candidats contre 4 056 en 2022 (-17 %). Du côté des soignants, alors que l’objectif assigné est de passer de 32 000 à 40 000 nouveaux IDE diplômés par an, l’importance du taux d’échec dans le cursus des soins infirmiers (sur l’ensemble des étudiants entrés en formation en 2019, seuls un peu plus de 63 % ont été diplômés en 2022) conduit à interroger le process de recrutement à travers Parcoursup et de formation, alors que serait modifié l’accès des aides-soignants les plus expérimentés à la formation infirmière avec une dispense totale de la première année de formation en soins infirmiers (pour 1 000 par an).
Le gros temps devient ainsi progressivement une constante pour un service de santé qui mise aussi sur la transformation numérique et l’intelligence artificielle pour améliorer son efficience et son accessibilité, sans méconnaître que 22 % de la population n’a ni ordinateur ni tablette à domicile, et 15 % sans connexion Internet.
Au sortir de la pandémie, le calme attendu n’est donc pas revenu. Tous les guides de conseil aux marins concernant la navigation par gros temps insistent sur la nécessité absolue de veiller dans ces circonstances, au-delà de la qualité de l’équipement matériel, sur la santé de l’équipage. C’est bien là la priorité que doivent se donner les pouvoirs publics et les responsables hospitaliers, en misant autant que possible sur la qualité de vie au travail et l’attention portée aux professionnels.
Dans ce contexte, notre dossier présente une série d’articles portant sur la gouvernance, les tensions spécifiques à Mayotte, la situation des Ehpad, la protection fonctionnelle et les discriminations, illustrant ainsi la volonté constante de maintenir le cap sur cette mer agitée.
Jean-Michel Budet
Directeur de la rédaction
Pour aller plus loin
Plan d’action pour améliorer l’accès aux soins dans les territoires, 13 juillet 2023 https://sante.gouv.fr > Accueil > Actualités > Actualités du ministère
Service d’accès aux soins (SAS) Nouveau service d’orientation de la population dans leur parcours de soins. Pour le patient confronté à un besoin de soins urgents ou non programmés et lorsque l’accès à son médecin traitant n’est pas possible, le SAS doit permettre d’accéder, à toute heure
et à distance à un professionnel de santé. Ce dernier pourra lui fournir un conseil médical, lui proposer une téléconsultation, l’orienter selon la situation vers une consultation de soin non programmé en ville, vers un service d’urgence ou déclencher l’intervention d’un Smur ou d’un transport sanitaire – https://esante.gouv.fr/sas
Drees, Études et Résultats drees.solidarites-sante.gouv.fr
• « Les deux tiers des généralistes déclarent être amenés à refuser de nouveaux patients comme médecin traitant », n°1267, mai 2023.Â
• « Près d’une infirmière hospitalière sur deux a quitté l’hôpital ou changé de métier après dix ans de carrière », n° 1277, août 2023.Â
• « Les étudiantes en formation d’infirmière sont trois fois plus nombreuses à abandonner en première année en 2021 qu’en 2011 », n° 1266, mai 2023.
Téléconsultation – Mission flash Assemblée nationale relative aux téléconsultations sur abonnement – www.assemblee-nationale.fr > Travaux parlementaires > Commissions et autres organes > Les commissions permanentes > Commission des affaires sociales
Ségur de la santé 13 juillet 2020 https://sante.gouv.fr > Accueil > Système de santé > Ségur de la santé > Accords carrières, métiers et rémunérations
PADHUE – Instruction DGOS/RH2/2023/130 du 13 juillet 2023 relative aux dispositions dérogatoires et temporaires permettant de justifier l’autorisation d’exercice de praticiens étrangers ayant obtenu un diplôme hors UE.
Ifsi – Proposition de loi 1467 du 4 juillet 2023 Assemblée nationale visant à rétablir le concours d’entrée aux instituts de formation en soins infirmiers.
Navigation – ManÅ“uvres de mauvais temps/ Nouveau Cours de navigation des Glénans Seuil, 1972 : « Le rôle du chef de bord apparaît déterminant. C’est à lui d’entraîner et de ménager à la fois l’équipage. Il doit faire preuve de sang-froid, d’audace, de prudence, et d’humour » (p. 392).
Crise des urgences – « Des SMUR à l’arrêt cet été », Le Monde, 1er septembre 2023, p. 10.