La question du tri, longtemps ignorée, a fait irruption sur la scène publique au plus fort de la crise Covid-19, en mars 2020. Il a alors été question d’un barrage sous la forme d’une limite d’âge pour l’entrée en réanimation des patients victimes de formes graves de la maladie. De l’extérieur, le tri peut paraître scandaleux, chaque patient devant bénéficier idéalement du maximum de ce que la science peut lui apporter. Les médecins eux-mêmes ont parfois du mal à reconnaître que ce tri puisse exister – notamment via leurs nombreuses interventions médiatiques ou plus formellement devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale(1). Lorsqu’ils le reconnaissent, c’est en présentant le tri comme un exercice qui relèverait purement de critères scientifiques et des choix du patient, s’affranchissant de toute autre contrainte, affective, économique ou sociale. Si les procédures légales(2) de limitation de soins permettent, notamment par la nécessité de la collégialité, de se garder des biais les plus subjectifs de telles décisions, il serait illusoire de penser que ces critères de choix sont universalisables, s’appliquant dans une stricte neutralité qui serait celle, imaginée, de la science, sans tenir compte des contingences. Il faudrait se garder de trouver cette évaluation anormale ou même scandaleuse, pourvu qu’elle fasse l’objet d’une réflexion et d’une approbation collectives préalables qui en fixeraient le cadre général.Â
Le tri est toujours un arbitrage entre la situation singulière, médicale et les moyens dont on dispose dans un contexte social et politique particulier. Toute situation où les besoins médicaux et les moyens demandés sont en tension donnera lieu à des procédures de tri. Elles réintroduisent le patient dans une organisation politique, une organisation sanitaire. Et si une épidémie devait de nouveau s’annoncer, plus intense, les critères de tri devraient s’adapter à la gestion de moyens plus ou moins limités. Cet ajustement est un exercice au cœur du métier de l’urgentiste, avant même tout geste de sauvetage. Lors d’événements exceptionnels, on a appris au premier médecin sur place à surtout ne rien faire, à ne pas se jeter sur la première victime rencontrée avant d’avoir une vision globale de la situation et d’envisager les moyens à mobiliser pour y répondre. Alors ce premier médecin trie, discrimine, organise les flux, choisit qui bénéficiera de filières courtes, longues ou d’abstention de soins lourds. Finalement c’est dans les situations dramatiques, inattendues et courtes qu’il rencontre le moins de problèmes. Face à de telles ...
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