Numéro 621 - décembre 2022(dossier)

L’hôpital au rapport 2022

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Les spécialistes de la phénologie chez les végétaux connaissent de longue date l’influence des paramètres climatiques sur leurs phases de développement saisonnier (feuillaison, floraison, fructification, jaunissement automnal). C’est ainsi qu’en Suisse, l’apparition des feuilles de marronnier a été observée à Genève depuis 1808 alors qu’à Paris, chaque 20 mars, on guettait, jusqu’à sa mort en 1911, le fleurissement du marronnier rouge des Tuileries en souvenir des 950 gardes suisses massacrés en 1792, puis de la naissance du roi de Rome en 1811. Il n’est pas surprenant que la sécheresse comme l’élévation des températures mettent à mal, fragilisent les arbres jusqu’à favoriser leur dépérissement sous l’effet conjugué de l’âge et des attaques d’insectes cambiophages. Or, cette observation peut être transposée aux marronniers de la presse et l’édition(1).

C’est ainsi que victime d’un soudain assèchement de ses sources (les données d’activité des hôpitaux ou base PMSI collectées par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation – Atih) et de critiques méthodologiques délétères, le marronnier du classement des hôpitaux après plus de vingt années d’existence ne refleurira pas en 2022(2). La guerre d’accès aux données de santé n’est pas sans rappeler la guerre de l’eau(3). Il en va tout autrement du marronnier de décembre de Gestions hospitalières consacré aux rapports qui souffrirait, lui plutôt, d’un phénomène croissant de logorrhée. Il est vrai que, dépassant la simple application de la théorie de Clausius-Clapeyron, la modélisation climatique et les observations convergent vers la même conclusion : les pluies se sont intensifiées ces dernières décennies et continueront à s’intensifier dans le futur sous l’effet du réchauffement global. Il en va de même de la production de rapports. Et leur sélection s’avère difficile tant la production est importante dans un secteur en souffrance et médiatisé comme la santé, auquel chacun veut apporter diagnostics et médications. Les choix opérés dans cette forêt de rapports se veulent, à défaut d’exhaustivité, représentatifs des préoccupations qui marquent l’hôpital et son environnement. La question demeure cependant, bien que cela ne semble décourager ni les auteurs ni les commanditaires, de leur finalité, de leur usage, de leur utilité.

Si la commande d’une « mission flash » sur les urgences et soins non programmés(4) a conduit à la nomination dans la foulée de son auteur comme ministre en charge de mettre en œuvre les 41 mesures qu’il préconise, cet exemple demeure une exception dans la foison des rapports publiés en 2022. La mission flash, mission d’information plus courte que les autres, serait-elle alors la panacée pour engager l’action publique ? Si l’on regarde les sujets traités, on peut déduire que le caractère éclair de ces missions traduit d’abord et surtout une volonté de coller à l’actualité. Il en va ainsi de la situation des Ehpad après l’affaire Orpea. Même si le sujet était dans l’air et les rapports nombreux et continus, l’affaire a précipité les investigations sur les Ehpad, qu’elles émanent du Parlement, d’inspections générales (Igas, IGF), de la Cour des comptes, des agences régionales de santé, des départements… Après le chapitre de son rapport public 2022 et le tout récent rapport de la Cour des comptes sur la prise en charge médicale des résidents des Ehpad, après la transformation de la mission d’information du Sénat sur le sujet en une commission dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, ce fut au tour de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale de présenter les résultats de deux missions flash (deux autres sont à venir) sur le sujet. L’une formule près d’une trentaine de préconisations pour renforcer la place et le rôle des proches des résidents en Ehpad, l’autre esquisse des pistes pour « l’Ehpad de demain », à court comme à moyen terme.

En dehors de ces accès de fièvre sous pression médiatique, le paysage dense des rapports sur la santé et l’hôpital demeure inscrit dans la continuité d’une production institutionnelle dont la vocation première est de répondre à des obligations légales, à des commandes, cette production étant enrichie de contributions nombreuses des think tanks, cabinets de conseil et autres fédérations professionnelles.

Si certains rapports se traduisent par une mise en œuvre rapide de leurs préconisations, c’est aussi qu’ils répondent, non pas à la volonté d’enterrer une question, mais bien au contraire à celle de mettre en œuvre à marche forcée. Les suites données aux rapports Thiriez et Bassères(5) de 2020 sur la réforme de la haute fonction publique en sont l’illustration. Cependant, lorsque cette volonté, qui se doit d’être incarnée, d’avancer au-delà des résistances et corporatismes n’est pas au rendez-vous, les rapports se multiplient, s’empilent jusqu’à conclure comme le fait le récent rapport de l’Igas(6) sur le financement de la certification périodique des professionnels de santé que l’on « risque de passer à côté de cette réforme par manque d’ambition et de pilotage ». 

Nul doute dans ce contexte que le marronnier de Gestions hospitalières refleurira en 2023, avec l’espoir de voir s’épanouir parallèlement les jeunes plantations du bosquet des exèdres sud du jardin des Tuileries.

Jean-Michel Budet, Directeur de la rédaction


notes

(1) M.-A. Bonniel, « C’est le printemps ! Parole de marronnier des Tuileries », Le Figaro, 18 mars 2016 – www.lefigaro.fr

(2) « “Palmarès des hôpitaux” : la Cnil précise les raisons de son refus d’autoriser Le Point à accéder à la base de données des hôpitaux », 10 novembre 2022 – www.cnil.fr

(3) CNRS, « L’eau, source de conflits entre nations ». https://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/mondial/05_eau.htm 

(4) « “Mission flash” sur les urgences et soins non programmés : le Gouvernement mobilisé pour la mise en œuvre des mesures dès aujourd’hui », communiqué de presse, 11 juillet 2022 – solidarites-sante.gouv.fr
Instruction n° DGOS/DGCS/DSS/2022/182 du 10 juillet 2022 relative à la mise en œuvre opérationnelle des mesures de la mission flash pour les soins urgents et non programmés pour l’été 2022.

(5) F. Thiriez, « Mission Haute Fonction publique » rapport, 30 janvier 2020 – www.gouvernement.fr 
J. Bassères, «  Préfiguration de l’Institut national du service public (INSP) », rapport, 30 novembre 2021 – www.vie-publique.fr

(6) « Dispositif de certification périodique créé par l’ordonnance n°2021-961 du 19 juillet 2021 : état des lieux financier » – igas.gouv.fr