Numéro 623 - février 2023(dossier)

Les métiers invisibles à l’hôpital

Temps de lecture : 3 minutes

À la découverte de la face cachée de la Lune

L’hôpital est une aventure humaine. Mille et une professions s’y côtoient, formant une nébuleuse qui s’étend à mesure qu’on l’observe. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept et durant les 365 jours de l’année, les agents des centres hospitaliers s’affairent, dans une rotation constante, à leurs tâches respectives. Si, gravitant autour du patient, les soignants et les médecins sont les astres qui scintillent le plus, l’équipe hospitalière est constituée d’éléments phares et de satellites aussi importants les uns que les autres pour en assurer l’équilibre. Électriciens, socio-esthéticiennes, vaguemestres ou orthoprothésistes…, dans les dédales de cet univers qu’est l’hôpital et que les élèves directrices et directeurs d’hôpital (EDH) explorent au cours de leur stage de découverte, les professions se révèlent et, avec elles, leurs constellations de singularité. Partant de cette expérience, les EDH de la promotion Marie-Marvingt (2022-2023) ont voulu mettre en lumière des acteurs méconnus de la galaxie hospitalière. À l’écoute de leur démarche, Gestions hospitalières leur a ouvert ses colonnes pour un dossier dédié aux métiers invisibles à l’hôpital. 

Avant toute chose, la notion de « métiers invisibles » à l’hôpital est à éclairer. Invisibles pour qui, pourquoi ? 

Pour le patient d’abord, qui côtoie principalement des médecins, des soignants et des brancardiers, et qui ne connaît pas les différentes professions grâce auxquelles l’hôpital assure ses trois repas par jour, délivre ses médicaments en temps et en heure et fournit ses draps et du linge propre. Transféré au bloc opératoire, il n’est pas non plus conscient du nombre d’agents qui assurent sa prise en charge. 

Invisibles ensuite pour les agents hospitaliers eux-mêmes, sans distinction de fonction, de corps ou de grade, qui, plongés dans leur quotidien, n’ont pas l’occasion de découvrir le large panel de professions qu’héberge l’hôpital ou tout du moins la réalité qui se cache derrière le nom des unes ou des autres. 

Pour nous enfin, citoyens profanes ou non de l’hôpital, visiteurs éphémères ou réguliers. Tous amenés, pour divers motifs, à se rendre à l’hôpital au cours de nos vies, nous n’en connaissons pas toutes les missions. 

Et pourquoi ces métiers sont-ils invisibles ? Pour une raison inhérente à la profession, une volonté de discrétion propre à la fonction ou un manque de reconnaissance… Là encore, les raisons de l’invisibilité de certains métiers sont variées. 

Ce dossier permet aussi de mettre en lumière les spécificités en termes de formations, de compétences et de missions de ces métiers invisibles. Pour certains, en effet, le manque de reconnaissance se double d’une invisibilité ne leur permettant d’être ni vus ni entendus(1). L’objectif est donc, au-delà de leur mise en lumière, l’amélioration de la prise en compte par les pouvoirs publics des métiers invisibles et de participer plus largement au débat public sur les transformations de notre système de santé. Car l’attractivité de ces métiers passera aussi par une meilleure considération.

La précédente promotion des EDH (Louis-Lareng, 2020-2021) s’était par ailleurs engagée dans la reconnaissance des métiers invisibles avec son projet « Un jour avec », un focus vidéo sur un métier hospitalier peu connu via le témoignage d’un professionnel présentant ses missions et son quotidien. Tout en perpétuant « Un jour avec » lancé en 2021, la promotion Marie-Marvingt renforce la mise en lumière des métiers invisibles. 

Ce dossier se compose à la fois d’articles de réflexion et d’analyse, autour des raisons de l’invisibilité de ces professions, de l’attractivité et de la fidélisation à l’hôpital ou encore des métiers de demain, et d’une série de portraits de professionnels hospitaliers. Parmi l’ensemble des métiers invisibles, un choix – difficile – a été fait pour présenter des fonctions de soins, logistiques ou administratives à différents niveaux de responsabilité. Si ces portraits reflètent imparfaitement la diversité des métiers invisibles, ils témoignent du manque de reconnaissance de certains d’entre eux.

La promotion des EDH Marie-Marvingt tient à remercier toute l’équipe éditoriale de Gestions hospitalières pour l’avoir accompagnée tout au long du projet, ainsi que les protagonistes de ce dossier qui ont répondu favorablement à son invitation.

Marie Marvingt

Une oubliée pour les invisibles

Dans les coulisses de l’Histoire, Marie Marvingt attendait le dernier rappel. Coup de théâtre pour « la fiancée du danger » puisque la promotion 2022-2023 des EDH a décidé de remettre cette actrice oubliée du monde de la santé sur le devant de la scène.

Au premier acte de sa vie, Marie, née en 1875, étudie la médecine et obtient son diplôme d’infirmière. Sportive, elle participe à des courses cyclistes et demande à intégrer l’édition 1908 du Tour de France. Malgré le refus des organisateurs, elle parvient à couvrir l’ensemble du parcours de la Grande Boucle. Elle s’illustre aussi en natation et dans les sports d’hiver, gravissant notamment la dent du Géant et le Wetterhorn, et remporte de nombreuses compétitions de ski et de patinage.

Deuxième acte. Après avoir atteint les sommets, Marie Marvingt vise le ciel et réalise son premier vol en avion en 1907. En 1910, elle traverse la mer du Nord en ballon et cumule 717 vols dès 1912. Cette année-là, elle invente l’aviation sanitaire en créant l’avion-ambulance. En 1914, le ciel européen s’assombrit et Marie participe à des bombardements, quand bien même l’aviation française refuse ses services. Elle arrive toutefois à rejoindre les tranchées en se déguisant en homme. Démasquée, elle occupe un poste d’infirmière sur le front montagneux des Dolomites et n’hésite pas à dévaler à ski les pentes enneigées pour évacuer les blessés. Chaque fois qu’une porte lui est fermée, Marie passe par la fenêtre.

Troisième acte. Marie Marvingt devient journaliste durant l’entre-deux-guerres et promeut l’aviation sanitaire. Elle participe à la Seconde Guerre mondiale en tant qu’infirmière de l’air et invente un type de suture chirurgicale qui permet de recoudre les blessures plus rapidement sur les champs de bataille, et ainsi d’éviter les infections. Après l’action, pour subsister à ses besoins, Marie Marvingt retourne à son métier d’infirmière, mais elle continue à se lancer des défis par amour du risque. Elle pilotera ainsi un hélicoptère à 85 ans.

En 1955, le président de la République lui décerne le titre de chevalier de la Légion d’honneur. À ce jour, elle est la femme la plus décorée de France.

En 1963, le rideau tombe. Mais la salle est vide et Marie quitte la scène dans l’anonymat.

Marie Marvingt n’a pourtant pas manqué son rendez-vous avec l’Histoire. Protagoniste des grands évènements de son siècle, elle a été une pionnière éclectique et fabuleuse, reconnue par ses pairs. Citer ses exploits et ses records reviendrait à dresser une liste sans fin. Les risques pris par cette femme hors du commun et les chemins qu’elle a ouverts donnent l’exemple à suivre, alors que la période contemporaine est faite de doutes et de menaces. Mais l’Histoire a manqué son rendez-vous avec Marie Marvingt en ne lui accordant pas la place qu’elle méritait. C’est donc au nom d’une oubliée, Marie Marvingt, que la promotion éponyme des EDH braque les projecteurs sur les métiers invisibles de l’hôpital.

[caption id="attachment_46121" align="alignnone" width="300"] Source - galicia.fr/bnf[/caption]

Clément Barricault
EDH, promotion Marie-Marvingt (2022-2023)

 

(1) Lire à ce propos la tribune de Laurent Mathieu, perfusionniste au CHU de Bordeaux : « Chirurgie cardiaque : pas de statut, pas de perfu », Journal international de médecine, 26 novembre 2022 – https://www.jim.fr/edocs/chirurgie_cardiaque_pas_de_statut_pas_de_perfu_195042/document_edito.phtml