De par sa vocation historique d’hospice, l’hôpital met en avant ses bonnes œuvres : accueillir, prévenir, éduquer et soigner. Toutefois, son évolution contemporaine semble être celle de l’entreprise : financiarisation, mise en concurrence, culture managériale anglo-saxonne. Les gestionnaires adoptent un discours de la performance calqué sur le sport ou la guerre (économique), des comparaisons commodes pour homogénéiser les pratiques sociales dans un but unique qui n’est plus celui du soin. Il y a une forme de nécessité extérieure qui impose la discipline et fait plier les velléités de gentillesse. Alors, l’hospitalier peut-il encore être gentil ? Quel service rend le service public ? Entretien avec Emmanuel Jaffelin, philosophe.
Dans la première partie de votre livre, Petite Philosophie de l’entreprise (1), vous donnez une définition simple de l’entreprise : « Ensemble de moyens qui produit de la richesse en exploitant la nature, en fabriquant des objets ou en rendant des services », puis vous définissez ses antinomies. Quelles sont-elles ? La première antinomie repose sur l’idée selon laquelle l’entreprise est en train de se déréaliser et donc de se virtualiser, c’est-à -dire de se retirer de son assise physique et surtout humaine. À partir des années 1980, l’entreprise a considéré que le salarié coûtait cher et qu’il n’était pas seulement une charge mais une variable d’ajustement. Mais l’entreprise est allée plus loin : elle cherche aujourd’hui à exister avec le moins de salariés possible, devenant un cabinet de marketing qui sous-traite la totalité de sa production. De la même manière que les écologistes invitent l’homme à réduire son empreinte carbone sur la planète, l’entreprise virtuelle cherche à se dématérialiser, se contentant d’appliquer sa marque sur des produits fabriqués en Asie et vendus urbi et orbi. Cette entreprise fantôme – ...