Le temps est une notion difficile à approcher dans le monde du travail. On en perd, on en gagne. Il nous échappe, on le retrouve. Le sentiment le plus partagé est celui qui présente le monde comme subissant une accélération continue. Nous nous représentons ce phénomène comme un flux ininterrompu, que nous éprouvons sans pouvoir intervenir sur son cours. Pour maintenir simplement le rythme, voire faire du surplace, nous devons aussi accélérer continuellement. Le philosophe allemand Harmut Rosa nomme ce phénomène « stabilisation dynamique ». Mais communément, on dit plutôt « courir comme un hamster dans sa petite roue ». Il faut consommer de plus en plus de ressources pour simplement maintenir la situation actuelle. Le monde de la santé ne fait pas exception : la croissance des besoins de santé venant des usagers ; la satisfaction de ne pas attendre en consultation, aux urgences ; les objectifs pour augmenter la production de soin, l’activité, les recettes ; les innovations technologiques, les dématérialisations numériques. De toutes parts, les hospitaliers doivent aussi accélérer, parfois au prix de l’épuisement. Mais le temps se présente tout aussi bien comme une condition ambivalente de notre existence. Les professionnels désirent plus de temps, pour eux en développant le temps partiel, pour leurs équipes en privilégiant les espaces de discussion, le management participatif, chronophage. C’est aujourd’hui un levier fort du discours des politiques publiques : retrouver le temps soignant. À ce titre, « libérer du temps médical pour mieux prendre en charge les patients » figure en bonne place dans la Stratégie nationale de santé 2023-2033. Par ailleurs, dans les disciplines médico-sociales, la psychiatrie, les soins palliatifs, les maladies chroniques, le temps long est nécessaire pour le soin lui-même. Ce dossier souligne, sans les épuiser toutes, différentes dimensions du temps, parfois diffuses, parfois incarnées, et cette course permanente où chacun se situe entre la halte et la hâte.
Frédéric Spinhirny
Directeur des affaires médicales
CHU de Tours – Philosophe