Il y a environ cent ans, Marcel Mauss, dans son Essai sur le don, prêtait à celui-ci la vertu de fonctionner comme un mécanisme de cohésion sociale et même si cette pratique n’est pas toujours exempte d’ostentation, elle n’en est pas moins, comme le philosophe en soulignait le paradoxe, un échange et non un engagement unilatéral.
L’époque épidémique que nous traversons permet d’illustrer certains aspects de ces caractéristiques, même si le don, le legs ou le mécénat ne relèvent pas des mêmes catégories juridiques et obéissent à des régimes, fiscaux notamment, distincts. De multiples initiatives en faveur de l’hôpital sont nées de la pandémie, certaines émanant des personnels hospitaliers, d’autres des citoyens ou des entreprises : l’afflux de dons en nature, dont la modicité pécuniaire n’avait quelquefois d’égale que la bonté dont elle témoignait (couturières, commerçants, restaurateurs, hôteliers…), a profondément touché la communauté hospitalière.
En ce qui concerne le mécénat, l’ampleur du phénomène est sans doute à la mesure de la crise sanitaire et des difficultés rencontrées par certains hôpitaux, notamment parisiens : 40 millions d’euros récoltés en deux mois par la fondation de l’AP-HP pour la recherche et 30 millions par la fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France ; plusieurs collectes sur le site Goodeed ont par ailleurs été lancées et le centre hospitalier de Moulins-Yzeure a été, par exemple, le premier établissement de santé à avoir lancé une collecte sur le site Collecticity, plateforme de financement participatif réservée au secteur public et désormais ouverte aux hôpitaux… Le mécénat se traduit essentiellement par des dons en numéraire bénéficiant d’un statut fiscal de nature à attirer les libéralités qui opèrent indirectement un transfert de ressources du budget de l’État (dépenses fiscales) vers le budget social (recettes destinées à un hôpital), ce qui devrait permettre de satisfaire la volonté – largement partagée – de « prendre à l’État pour donner à l’hôpital ».
Spécificité française, le mécénat attire les foudres des (nombreux) esprits chagrins comme l’épisode du financement de la restauration de Notre-Dame en a fourni naguère une illustration paroxystique, compte tenu des sommes en cause : il appartiendrait aux seuls budgets publics – État, sécurité sociale, collectivités locales – de financer les dépenses hospitalières (ou culturelles…) et la « charité » ne doit pas se substituer à l’impôt ou à la cotisation sociale.Â
Ce propos ne brille ni par son originalité ni par son réalisme et tend à considérer les budgets publics comme d’inépuisables cornes d’abondance. C’est faire fi de la longue histoire des hôpitaux, qui sont nés et ont longtemps vécu grâce à la générosité de mécènes avant de devenir des services publics, et dont le riche patrimoine immobilier est issu de dons et legs. Cette conception témoigne enfin d’une imperméabilité au principe de réalité (budgétaire), voire d’une méconnaissance de l’usage de ces fonds qui sont pour beaucoup affectés au confort du malade et à son environnement, qu’un budget hospitalier ne peut que très accessoirement prendre en charge : tablettes tactiles pour les résidents, espace Snoezelen, jardins thérapeutiques, unité familiale de néonatalogie… Les budgets n’ont pas une élasticité infinie et le mode de financement hospitalier ne permet que partiellement de soutenir de tels projets ; l’apport exogène du mécénat est quelquefois déterminant pour en assurer l’exécution.Â
Son intérêt, qui n’est pas le moindre, est également de susciter la délibération collective dans la mesure où, d’une part, il fédère les professionnels autour d’un projet, et, d’autre part, les conseils d’administration des fonds de dotation sont appelés à en débattre et en rendre compte en toute transparence, ces conseils réunissant le plus souvent communauté médicale et soignante, membres de l’équipe de direction, patients, mécènes, élus locaux, parrains (sportifs, artistes…), notamment. Mauss avait décidément raison : le don est bien un échange…
Rudy Chouvel
Docteur en droit public, directeur adjoint, CH Moulins-Yzeure