Sous le titre « L’hôpital au rapport », Gestions hospitalières consacre à nouveau son dossier aux rapports traitant des questions hospitalières et de santé publiés en 2019. Cet exercice annuel pourrait être perçu péjorativement comme un « marronnier(1)». Ce serait là considérer ces travaux comme de faible importance et sans impact alors qu’ils constituent de fait des éléments de gouvernance et de management, tantôt pour freiner, empêcher, tantôt pour avancer, faire évoluer l’opinion, émousser les résistances. Ils sont aussi constitutifs de la procrastination qui caractérise souvent l’action publique. Ils ont enfin l’avantage de faire évoluer discrètement les idées, de favoriser à terme à leur acceptation et d’être mobilisables à tout moment.
Au milieu du gué de la mise en Å“uvre de « Ma santé 2022 », plan d’action gouvernemental issu de six rapports thématiques(2), l’irruption, le 20 novembre 2019, d’un plan d’urgence pour l’hôpital(3) non prévu dans le projet de PLFSS 2020 en cours d’examen au Parlement et intervenant quelques semaines après le pacte de refondation des urgences annoncé à la rentrée pour calmer la crise aux urgences, utilise ces ressources tout en relançant une nouvelle mission qui débouchera sur un nouveau rapport(4).Â
Mais « L’hôpital au rapport », c’est aussi le renvoi à une expression militaire qui rappelle le lien hiérarchique fort qui caractérise la relation entre l’État et l’hôpital public.Â
Une récente tribune(5) appelle à la remise en cause d’un système jacobin qui ne fait plus preuve d’efficacité tant en termes de garantie d’égalité d’accès aux soins qu’au plan des investissements et de la maîtrise des coûts. Au-delà de la question des moyens, c’est bien la question de la gouvernance d’un système de santé en crise qui est posée : gouvernance de l’hôpital, du secteur libéral, du financement…
Il n’est pas question ici d’être exhaustif tant la production de rapports est importante. L’année 2019 n’a pas dérogé à la tradition. Il y a bien sûr rapport et rapport. Nombreux sont ceux des institutions (rapports d’activité), des commissions et missions diverses. Certains sont attendus, tels ceux de la Cour des Comptes, du Parlement, de l’État et ses opérateurs (agences, observatoires…) qui continuent à multiplier les sources de production. Professionnels, industriels, ordres, think tanks apportent aussi leurs contributions.Â
Gestions hospitalières a fait le choix d’un éclairage porté sur quelques rapports. L’actualité récente aurait pu conduire à porter un regard attentif sur d’autres publications, notamment :
• la contribution parue dans la revue Trésor-éco d’octobre 2019, « Comment lutter contre les déserts médicaux »(6). Cet article très documenté est rédigé par trois data scientists issus de la Cour des comptes et de l’Insee. Ces spécialistes des chiffres, des statistiques et des programmes informatiques analysent avec pertinence la réalité de la densité médicale dans les territoires de la République, les perspectives, l’impact et le coût des mesures prises pour lutter contre la « désertification médicale » et traitent ces données pour en extraire les informations susceptibles d’aider à la prise des bonnes décisions. De là à dire que la politique de santé pourrait être définie à Bercy… La question réellement posée est ici celle de la place des experts dans la décision publique. C’est un fait : l’influence de l’expertise va crescendo. Face à des citoyens de plus en plus formés et donc de plus en plus critiques, face à un monde de plus en plus instable et complexe, le politique est contraint d’aborder différemment la conception des politiques publiques. Au début de l’été, le rapport de la HAS qui estimait que cette pratique de médecine alternative n’avait pas fait la preuve de son efficacité, est venu illustrer la force de frappe de l’expertise scientifique, avec la décision de dérembourser l’homéopathie ;
• l’avis du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge du 30 septembre 2019 portant sur la terminologie du grand âge(7) qui inscrit, après la santé et le handicap, la dépendance dans un champ lexical aseptisé qui ne serait plus emprunt de stigmatisation et de discrimination. Ne parlons plus d’Ehpad et de dépendance, mais de « résidence d’accompagnement et de soins pour aînés » et de « vulnérabilité » !
Jean-Michel Budet
Directeur de la rédaction
(1) Tous les ans, aux premiers jours du printemps, un marronnier à fleurs rouges fleurissait sur la tombe des Gardes suisses tués le 10 août 1792, dans les jardins des Tuileries, à Paris. Et tous les ans, un article de presse s’en faisait l’écho (B. Voyenne, Glossaire des termes de presse, CFPJ, 1967, p. 61).
(2) Adapter les formations aux enjeux du système de santé // Transformer les conditions d’exercice des métiers dans la communauté hospitalière // Modes de financement et de régulation // Repenser l’organisation territoriale des soins // Inscrire la qualité et la pertinence au cœur des organisations et des pratiques // Accélérer le virage numérique
(3) Le plan d’urgence se décline en trois axes : renforcer l’attractivité des métiers et fidéliser les soignants, lever les blocages de l’hôpital public et réinvestir dans l’hôpital en lui donnant des moyens nouveaux et de la visibilité dans le temps. solidarites-sante.gouv.fr
(4) Afin de stabiliser le nouveau schéma de gouvernance des hôpitaux publics et d’approfondir la vision de « l’hôpital simplifié », une mission nationale est confiée au Pr Claris.
(5) « Les hôpitaux ont besoin de liberté plus que de nouveaux moyens », Les Échos, 13/11/2019.
(6) www.tresor.economie.gouv.fr
(7) www.hcfea.fr