Récurrente dans le discours contemporain sur le travail ou la vie de famille, omniprésente dans la rhétorique soignante comme dans les récits de patients(1), revivifiée par la récente crise pandémique, souvent confondue avec ses corrélats « stress », « burn-out » ou « épuisement », la fatigue est dans l’air du temps. Si les ouvrages fondateurs ont tous été publiés entre 1990 et 2000(2), la littérature de la fatigue fleurit, au point qu’on a pu lui consacrer depuis dix ans un dictionnaire(3) ou une histoire(4). Il semble inutile de revenir sur la place qu’occupe la fatigue en clinique quotidienne, comme symptôme ou comme syndrome, éventuellement iatrogène, psychique, somatique ou psycho-somatique. À l’inverse, la littérature ne s’est finalement que rarement – et tardivement ­– emparée du thème. Elle n’est pourtant pas totalement absente. Mais la plupart du temps, elle apparaît comme un co-produit presque marginal de souffrances plus « nobles » : le tædium vitæ, l’ennui, fût-il doré (Flaubert, Scott Fitzgerald, Sagan, Easton Ellis, Tourgueniev…), le blasement (Huysmans…), la décadence familiale et ...