Gestions hospitalières dédie à nouveau un dossier à certains des rapports publiés en 2018, consacrés en tout ou partie à l’hôpital. La matière ne manque pas tant fleurissent les rapports émanant des autorités publiques, des corps d’inspection, d’audit et de contrôle, des commissions ad hoc, des groupes de réflexion et autres laboratoires d’idées. Le développement de l’évaluation des politiques publiques contribue aussi à cette abondante floraison. On aurait pu espérer, au lendemain des élections présidentielle et législatives, une pause dans la créativité contributive, mais c’était sans compter sur la volonté réformatrice des nouvelles équipes et la production automatique des potentiels auteurs précités pour lesquelles le rapport est aussi preuve d’existence. La volonté de l’État réitérée ne suffit pas à tarir les sources de production(1).
En réponse au terme « hôpital », le site de la Cour des comptes propose ainsi pour la seule année 2018 la lecture de pas moins de 131 rapports (dont 119 au titre des chambres régionales et territoriales). Parmi les onze propositions nationales :
- le rôle du CHU dans l’offre de soins (12/12/2018) ;
- le CGOS et l’action sociale hospitalière (14/05/2018) ;
- la dette des hôpitaux dans le rapport public annuel 2018 (février 2018) ;
- le rôle du CHU dans l’enseignement supérieur et la recherche médicale (18/01/2018).
- Le même exercice peut être réalisé sur le site de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur lequel certains rapports sont publiés :
- « Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960 » (février 2018) ;
- « Relevé des échanges et propositions de la mission de médiation sur la mise en place de la réforme de la tarification dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) » (avril 2018) ;
- « Les personnels enseignants et hospitaliers, 60 ans après l’ordonnance de 1958 : propositions d’évolution » (septembre 2018) ;
- « Déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé » (septembre 2018) ;
- « Situation de la chirurgie de l’obésité » (septembre 2018) ;
- « Enquête sur les circonstances ayant conduit au décès d’une jeune patiente suite aux sollicitations du Samu de Strasbourg le 29 décembre 2017 » (juin 2018).
Ce foisonnement productif doit cependant nous conduire à poser deux questions principales : quelle utilité et quelle légitimité démocratique d’une telle production ?
Quelle utilité ?
À la question En quoi un rapport de l’Igas peut éclairer la décision publique ?, Nathalie Destais, cheffe de l’Inspection, insiste sur la qualité des diagnostics posés, qui contribuent à donner aux décideurs publics une analyse solide et fine du contexte, et sur la formulation de recommandations, visant à faire évoluer un cadre réglementaire, à infléchir une stratégie, en identifiant les risques et les conditions de succès de telle ou telle réforme, ainsi que les transitions possibles. Est évoqué aussi un effet « rhizome » pour illustrer la lente propagation des conclusions de certains rapports, au cours des années suivant sa publication, au sein du milieu professionnel concerné, au point « d’infléchir les pratiques et de contribuer à faire évoluer les raisonnements »(2).
Nombreux sont cependant les contributions et rapports dont les propositions sont restées lettres mortes et qui sont condamnés à rejoindre un cimetière déjà très encombré. « L’exercice de la remise officielle d’un rapport au gouvernement a ses rites et ses codes et son déroulé propre. Cela commence souvent par un constat sévère, un grand “boom”. Cela enchaîne par des fuites dans la presse sur les mesures à prendre “d’urgence” pour redresser la situation. Cela se poursuit par un gouvernement embarrassé qui temporise. Et cela se termine (presque toujours) par un enterrement sans fleurs ni couronnes, dans la plus grande discrétion. Un petit “pschitt”.(3)»
Ce qui vaut pour les rapports nationaux vaut pour les rapports et audits locaux qui abreuvent annuellement les établissements de santé dans le vertueux objectif d’améliorer leurs performances et le service rendu. Leur caractère répétitif peut se traduire par un effet de saturation contre-productif sans aller jusqu’à invoquer une forme de psittacisme.
Pour juger de la réelle utilité de ces rapports, il serait intéressant, à partir des réformes ou tentatives de réforme, d’en évaluer l’impact de manière objective, de nombreux contributeurs ayant tendance à s’attribuer a posteriori la paternité des réformes et transformations positives.
Quelle légitimité démocratique ?
Pour reprendre la formule de Charles de Gaulle, prononcée à Orange le 25 septembre 1963, « l’essentiel ce n’est pas ce que pensent le comité Théodule ou le comité Hippolyte, mais ce qui est utile au peuple français, ce que sent, ce que veut le peuple français. J’ai conscience de l’avoir discerné depuis bientôt un quart de siècle ».
Le poids des normes et réglementations, la complexité qu’elles génèrent, la volonté interventionniste des différents contributeurs sur la prise de décision politique peuvent interroger sur l’exercice démocratique.
L’expression de la cheffe de l’Igas sur cette question est à cet égard significative d’une volonté de ne pas imposer ou confisquer : « Je suis par ailleurs sensible à la dimension démocratique de nos travaux. Si certains d’entre eux ont un caractère confidentiel (en raison des données de vie privée légalement protégées, ou du temps nécessaire à la maturation des décisions, qu’il faut aussi respecter), de nombreux rapports contribuent, par leurs diagnostics et propositions, par leur capacité de déchiffrage de sujets complexes, au débat public et à l’information de l’“honnête homme”. Cela contribue à la confiance que les citoyens peuvent avoir dans les institutions démocratiques et dans l’action publique… Mais il reste une distance importante entre les “ordonnateurs ” des politiques publiques et les populations auxquelles elles s’adressent. C’est donc une nouvelle réalité et une nouvelle exigence pour l’Inspection générale : savoir aller au-devant des usagers, savoir les écouter et comprendre leurs perceptions, savoir relayer leur parole, leurs attentes ; particulièrement lorsqu’il s’agit de publics fragiles.(4) »
Les événements qui ont secoué la France au cours des dernières semaines ont mis en exergue la question démocratique de la prise de décision politique entre expression directe, représentation et confiscation technocratique. La décision d’ouvrir un large débat national s’inscrit dans ce contexte.
Le projet « Ma santé 2022 », qui doit se traduire en 2019 sous forme législative, s’appuie notamment sur six rapports thématiques rédigés par des experts sollicités intuitu personae par les autorités ministérielles selon une tradition bien ancrée dans la méthodologie des réformes du secteur santé où l’ordonnance est souvent privilégiée au débat législatif et citoyen. La question de l’accessibilité sociale et géographique aux soins en toile de fond de ce projet renverra au grand débat national précité notamment sur le thème de l’organisation de l’État et des services publics : comment organiser la présence de l’État et des services publics sur le territoire national ? Comment prendre en compte la révolution numérique dans cette organisation ? Comment lutter contre le réflexe de la concentration ?
Jean-Michel Budet
Directeur de la rédaction, Gestions hospitalières
Notes
(1) Cf. décret n° 2018-785 et circulaire du 12 septembre 2018 du Premier ministre visant à poursuivre la démarche de réduction des commissions existantes et à veiller à évaluer la pertinence de toute création de commission nouvelle.
(2) www.igas.gouv.fr
(3) Le Figaro du 4/11/2012, à propos du rapport Gallois.
(4) www.igas.gouv.fr
(5) « Adapter les formations aux enjeux du système de santé » // « Transformer les conditions d’exercice des métiers dans la communauté hospitalière » // «Modes de financement
et de régulation » //«Repenser l’organisation territoriale des soins » // « Inscrire la qualité et la pertinence au cœur des organisations et des pratiques » // « Accélérer le virage numérique »