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Numéro 547 - juillet 2015(dossier)

Le marketing hospitalier

Temps de lecture : 7 minutes

Vous avez dit marketing ? Oui, marketing !

La revue Gestions hospitalières a déjà, à de multiples reprises, ouvert ses colonnes à la question brûlante du marketing à l’hôpital. C’est donc un sujet relativement ancien que nous nous proposons d’actualiser et de revisiter. Au-delà des querelles dogmatiques qui fleurissent çà et là, nous prenons le parti d’aborder le sujet sous un angle pragmatique, c’est-à-dire au regard de la façon dont les acteurs se sont emparés du concept et de ses modes de mise en œuvre sur le terrain. Malgré un scepticisme souvent affiché, on s’aperçoit qu’un grand nombre de structures, tout comme M. Jourdain, font du marketing sans le savoir. Or, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, disait Boileau, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Il semble donc impératif de conceptualiser au plus vite ce que pourrait être le marketing hospitalier et, comme le soulignent Laurent Tardif et Michel Louazel, « une prise de conscience et une mise en cohérence au sein de l’organisation de cette approche permettraient vraisemblablement de gagner en efficacité dans la phase de mise en œuvre ».

Le sujet est de taille, les implications managĂ©riales consĂ©quentes, nous n’en abordons qu’une toute petite partie. MĂŞme si ĂŞtre bien soignĂ© reste un fondamental de la satisfaction du patient, cela ne suffit plus : le patient-client souhaite ĂŞtre bien accueilli, bien reçu, ĂŞtre consultĂ©, informĂ©, suivi, guidĂ©, avoir un accès facilitĂ© aux services…, autant de facteurs qui deviennent des Ă©lĂ©ments incontournables dans la formation de sa satisfaction.

En France, le champ du marketing hospitalier reste encore relativement inexploré, les pratiques assez confidentielles. Souvent, quand ils le sont, les moyens et pratiques utilisés par les différents acteurs du domaine restent ancrés dans une approche traditionnelle du marketing-management des produits, des services, des campagnes médias alors que d’autres outils plus actuels ou d’autres perspectives existent ; par exemple la perspective relationnelle ou celle, très féconde, de la création de valeur qui se développent hors du champ sanitaire. Les pays du nord de l’Europe, l’Amérique du Nord ou l’Australie sont comparativement plus avancés ; il existe par exemple dans la plupart des établissements de santé sanitaires et médico-sociaux de ces pays des directeurs ou responsables marketing.

On trouve en France plusieurs raisons pour expliquer une certaine frilosité à l’usage du marketing à l’hôpital :

  • le système tout d’abord, par un financement essentiellement socialisĂ© qui laisse moins de marge de manĹ“uvre Ă  des formes de concurrence de l’offre de service que le système nord-amĂ©ricain ;
  • une activitĂ© rĂ©glementĂ©e rĂ©duisant l’éventail de choix du patient ;
  • un encadrement strict de la communication persuasive Ă  destination du public ;
  • certains jeux d’acteurs comme une aversion des professionnels des soins pour la concurrence et une adhĂ©sion forte aux valeurs d’éthique et d’altruisme ;
  •  la persistance, voire l’entretien d’une large asymĂ©trie d’information quant aux soins et traitements prodiguĂ©s…

L’objectif des six articles présentés dans ce dossier est de fournir un éclairage, tant sur l’intérêt que sur les apports du marketing au management de l’hôpital.

Dominique Crié questionne ainsi le pourquoi et le comment du marketing à l’hôpital. Pour lui, le marketing à l’hôpital répond à une évolution sociale et sociétale inéluctable et irréversible, et il constate que le marketing digital a déjà « forcé » la porte de l’hôpital… Le patient mute, s’émancipe et devient hyper-informé, empowered ou en capacitance, c’est-à-dire de plus en plus autonome, en recherche d’écoute et d’attention. Du côté institution, le marketing souffre d’un triple problème de perception, d’application et de définition. De nombreux éléments opérationnels utilisés à l’hôpital sont proches de la communication, or le marketing hospitalier lui est souvent assimilé ou confondu, ce qui en dénature sa pratique. L’objectif de cet article est d’envisager un marketing compatible avec les valeurs fondamentales inhérentes au secteur de la santé et répondant aux contraintes réglementaires de l’hôpital. Dans cette optique, deux grands champs théoriques peuvent éclairer une conceptualisation de ce que serait le marketing hospitalier : l’orientation marché et le Service Dominant-Logic. L’orientation marché est avant tout une source de performance de l’organisation. C’est également un indicateur de l’ouverture de l’organisation sur son environnement. Le second concept constate la primauté du service dans la relation au client, ainsi que l’importance de son rôle dans la (co)création de valeur. Le cadre théorique fait ensuite référence à la doctrine marketing et à un certain nombre de ses paradigmes que l’on peut aborder de différentes manières mais sans exclusive : marketing stratégique, marketing des services, marketing relationnel, marketing interne ou paradigme du comportement du consommateur… Autant de lieux à investir à l’aune du contexte particulier qu’est le service de soin. Le plus difficile restera sans doute de faire évoluer les mentalités des différents acteurs…

Les établissements de santé, aujourd’hui sans doute plus encore qu’hier, ont à réinterroger leur positionnement et leurs choix stratégiques. Laurent  Tardif et Michel Louazel interrogent le projet d’établissement sous l’éclairage du marketing hospitalier. Le projet d’établissement constitue en effet un temps privilégié pour une réflexion stratégique et permet de mobiliser la communauté hospitalière. Le parallèle entre projet d’établissement et démarche marketing se fait aisément au travers de ses différents contenus et étapes de formalisation :

  • le projet stratĂ©gique et la politique de marque : marketing des contenus ;
  • le diagnostic territorial et l’approche marché : les Ă©tudes de marché ;
  • qualitĂ©, satisfaction client et attractivité ;
  • lien avec la mĂ©decine de ville et relation avec les prescripteurs ;
  • gouvernance, pilotage mĂ©dico-Ă©conomique et business plan vers un système d’information marketing ;
  • place du patient-usager, communication, marketing relationnel ;
  • dĂ©marche participative et marketing interne.

Cet article permet de montrer tout l’intérêt d’inscrire le marketing dans la stratégie de l’organisation.

L’aspect stratégique, c’est également le parti pris de Sophie Boinet. De profondes mutations affectent notre perception des attentes des usagers, les relations de l’établissement avec ses partenaires. Les patients sont plus assertifs et plus critiques face au choix d’établissements qui s’offre à eux dans un contexte de plus forte concurrence. De nouvelles injonctions apparaissent, comme la nécessité de s’adapter à la nouvelle relation médecins/patients, celle de s’adapter à la nouvelle temporalité entraînée par l’irruption des technologies et solutions numériques dans l’écosystème de santé qui en modifie radicalement la temporalité de référence… Il faut maintenant réagir instantanément aux exigences des usagers qui ne supportent plus la moindre attente et à des informations susceptibles de mettre en cause la réputation de l’établissement. L’un appelle la nécessité d’un marketing des services au-delà de la qualité de la prise en charge médicale, l’autre la construction et la consolidation de l’image de marque de l’établissement. L’analyse des attentes des usagers et la connaissance des patients, la compréhension des logiques d’adressage, du rayonnement et de l’attractivité de l’établissement, la communication et le développement de la marque employeur viennent nourrir le marketing opérationnel. Enfin, le marketing « traditionnel », ou commercial, doit être adapté : la gestion dynamique du portefeuille de patients doit être en adéquation avec les obligations de service public et répondre aux différents publics auxquels la structure s’adresse ; il ne faut pas non plus de création de besoins inutiles chez le patient. Sans nul doute, le marketing introduit un changement de regard qui oblige l’établissement à prendre davantage en compte son environnement.

Valérie Perrot-Egret nous offre ensuite un focus sur la mise en œuvre d’une stratégie de marque, notion peu travaillée jusqu’à présent dans le secteur des soins de santé et qui s’est imposée pour le Groupe des centres de lutte contre le cancer (CLCC). La nécessité d’innover, et de le faire savoir, la volonté d’uniformisation nationale des standards de qualité qui rassurent car « marquer, c’est en quelque sorte normer », autant d’éléments qui expliquent pourquoi les membres d’Unicancer n’ont pas hésité à prendre le virage du marketing hospitalier. Marque unique en 2011, Unicancer est la caution des savoir-faire partagés mais aussi d’une communauté de vision/philosophie, mission, ambition, valeurs et promesses.

Rémi Heym se penche quant à lui sur l’attractivité comme un enjeu marketing. S’ils sont attachés aux valeurs du service public – les enquêtes menées par la FHF le montrent –, les Français se comportent aussi comme des « consommateurs » de soins. Ils estiment être en droit de disposer de certaines prestations, certaines attentions, au-delà des soins, de l’expertise médicale et du niveau technologique. L’amélioration de l’image de marque passe par une démarche d’écoute, d’information et de dialogue, et s’applique à l’externe comme en interne. La communication du CHU-Hôpitaux de Rouen s’est organisée pour répondre à ces attentes, sur le modèle d’une agence de communication multicanale permettant de développer l’attractivité en faisant connaître ses offres et en dialoguant avec ses publics. L’intégration des médias sociaux dans la stratégie de communication témoigne de la volonté de ce CHU d’évoluer d’une communication informationnelle, c’est-à-dire strictement descendante, vers un mode conversationnel, proposant un dialogue direct et sans filtre avec ses publics. Dans cette option, la présence d’un média social manager est incontournable.

C’est sur cette évolution très nette de l’utilisation et de la présence sur les médias sociaux que Franck Schneider travaille : communauté de patients, web TV santé, compte Twitter ou page Facebook destinée aux aidants… En quelques années, les médias sociaux sont devenus des acteurs incontournables de la santé digitale. L’utilisation des médias sociaux par les hôpitaux deviendra très rapidement aussi courante que celle des sites Internet. Néanmoins, ces outils ne sont pas exempts de risques ; ils restent mal connus et les questions soulevées sont nombreuses. Par définition, ces médias impliquent une certaine perte de maîtrise. Il faut donc les accompagner à défaut de pouvoir les contrôler. Les moyens nécessaires au développement maîtrisé d’une présence sur les médias sociaux sont conséquents et impliquent la formation au community management d’une partie de l’équipe de communication et le choix d’un outil de monitoring du Web. La ligne éditoriale tient compte des spécificités de chaque média, mais aussi du public, qui peut évoluer au fur et à mesure qu’une communauté se constitue. La qualité de l’information mise en ligne par les soignants est essentielle pour construire la crédibilité d’une institution de santé sur le Web ; former les soignants aux médias sociaux est donc fondamental. Le respect par les soignants des bonnes pratiques évite des utilisations maladroites pouvant être source de malentendus ou de conflits entre patient et soignants. Parallèlement, le contrôle de l’e-réputation implique principalement le monitoring du Web, c’est-à-dire la lecture et la qualification des messages publiés sur Internet. L’information lue ou commentée sur le Web permet au patient de mieux s’impliquer dans la prise en charge de ses soins, c’est un important facteur d’empowerment.

On le sent bien, le sujet n’est qu’effleuré : ce numéro est une invitation à explorer plus avant les ressources que peut offrir un marketing adapté à l’hôpital. C’est également une invite à la formation, formation au sein des universités – par exemple au sein du master 2 Management des entreprises du secteur de la santé de l’IAE Lille ou des quelques autres masters qui développent cette compétence en France – et formation des cadres de santé de l’École des hautes études en santé publique, puisque l’école a récemment intégré dans ses cursus (entre autres celui des élèves directeurs d’hôpital), le marketing hospitalier et le marketing social.