Ce qui caractérise historiquement le mieux le système santé, c’est le cloisonnement et la difficulté chronique à travailler ensemble en ville comme à l’hôpital. Cependant, les contraintes financières, l’évolution législative et réglementaire, les réalités démographiques, les aspirations sociales et sociétales, les techniques médicales conduisent progressivement à remiser, non sans douleur, ce qui ne pourra à terme apparaître que comme des postures d’un autre âge. Coopérations, coordinations, collaborations, communautés, fédérations, mutualisations et échanges se développent à un rythme inégal, avec des résistances, parfois dans la complexité, mais inexorablement. La coopération devient un enjeu permanent et salvateur dans un monde de la santé en crise existentielle ; les articles publiés dans ce dossier sont l’illustration des formes multiples que revêt la coopération. À l’image du monde dans lequel il évolue, le secteur sanitaire n’échappe pas aux alliances, à la mobilité et à l’abolition des frontières économiques et statutaires. Â
La signature ces dernières semaines de textes attendus en application de la loi 2023-379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé est l’illustration de ce lent cheminement. Ce texte, considérant que dans un système de santé confronté à de multiples défis les coopérations et les partages de tâches entre professionnels de santé, sont de nature à réduire les délais d’accès aux soins, à renforcer l’attractivité des métiers et à améliorer la qualité des services rendus, a pour objet de valoriser les compétences des professionnels de santé, d’améliorer l’accès aux soins et la qualité de la prise en charge des patients, en renforçant les coopérations entre les professionnels. Il autorise les infirmiers en pratique avancée (IPA), d’une part à prescrire certains produits et prestations soumis à prescription médicale obligatoire et d’autre part à prendre en charge directement les patients ; il permet également un accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes exerçant en établissement de santé. De plus, la loi instaure le principe d’une « responsabilité collective » des médecins, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes et des infirmiers de participation à la permanence des soins, tant en établissement de santé qu’en ville afin de garantir à la population un accès aux soins non programmés et à répartir la permanence des soins sur l’ensemble des professionnels concernés. S’agissant des protocoles de coopération nationaux entre professionnels de santé, la loi vient simplifier la procédure de mise à jour des coopérations interprofessionnelles (CNCI), intègre les assistants de régulation médicale (ARM) au livre III de la quatrième partie du Code de la santé publique, leur conférant ainsi le statut de professionnels de santé. Enfin, la loi élargit le régime d’autorisation des tests, recueils et traitements de signaux biologiques à visée de dépistage, d’orientation diagnostique ou d’adaptation thérapeutique immédiate (Trod), afin de permettre leur réalisation notamment par des non-professionnels de santé.Â
Il aura ainsi fallu attendre plus de 20 ans pour que les premières expérimentations menées en 2005 et les préconisations du Pr Yvon Berland, président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) et auteur du rapport « Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences », trouvent la voie d’une réelle montée en puissance. Après plusieurs phases d’expérimentation menées depuis 2003, l’article 131 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, avait donné une base légale à la mise en Å“uvre d’expérimentations de coopérations entre professionnels de santé et aux possibilités de transfert de compétences entre les professions médicales et les autres professions de santé*.Â
La pandémie de Covid et les contraintes de prise en charge qu’elle a engendrées ont certainement forcé le passage avec la pénurie de professionnels de santé vers la coopération en permettant par exemple la vaccination directe en officine pharmaceutique. À l’hôpital, les plateaux techniques sont partagés, les équipements sont hybrides, les pôles et fédérations sont constitués. Les groupements hospitaliers de territoire obligatoires (GHT), les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les groupements d’intérêt économique (GIE) et autres groupements de coopération sanitaire (GCS) maillent les territoires de santé. Le guide méthodologique des coopérations territoriales élaboré en 2011 par l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) portait la devise : « Le talent de chacun fait la force de tous. » Le vécu des acteurs de terrain des coopérations est sans doute plus nuancé, mais force est de constater que, de gré ou de force, la coopération est en marche.
* Cf. Haute Autorité de santé (HAS), « Accélérer les coopérations et les partages de tâches entre professionnels de santé », 13 mars 2024 – has-sante.fr
Jean-Michel Budet
Directeur de la rédaction
Gestions hospitalières
À noter
Du 4 au 6 juin, sur le thème « Agir au service de l’amélioration de la santé pour tous », l’École des hautes études en santé publique (EHESP) accueillera la conférence annuelle de l’Association européenne du management en santé (EHMA). En amont de la conférence qui réunira experts, praticiens et chercheurs européens du management en santé, l’EHESP organise le 3 juin prochain une journée consacrée aux coopérations en santé placée sous le signe des rencontres et du partage d’expériences françaises et étrangères, un temps privilégier pour s’inspirer, s’enrichir, collaborer et agir pour la transformation du système de santé.