Numéro 592 - janvier 2020(dossier)

L’expérience patient

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« Courtisé par les opérateurs de santé, les unités de recherche, les industries de santé, en sa qualité d’expert voire d’influenceur, le patient est aussi attendu et responsabilisé au chapitre de la maîtrise des coûts, comme acteur de sa santé. » Ainsi se terminait en janvier 2019 l’éditorial du dossier « Pour et avec le patient » de Gestions hospitalières. Un an après, la revue revient sur le sujet en consacrant son dossier à « l’expérience patient », promue avec talent en France depuis 2016 par l’Institut français de l’expérience patient. 

Au début des années 2000, ce concept a émergé au Canada, au Royaume-Uni (Expert Patient Programme), aux États-Unis (Cleveland Clinic : Patient first et Patient Experience Empathy & Innovation Summit), en Suède, visant à la prise en compte de l’expérience, de la vie, du point de vue des patients mais aussi des aidants dans les parcours. En 2010, le Beryl Institute, institut américain(1), pose la définition de référence de l’expérience patient, puis s’emploie à construire une communauté, un corpus de connaissances et des moyens de formation et d’accompagnement.

Bien sûr, en France, la prise en compte de l’expérience du patient n’est pas totalement nouvelle et les associations de patients longtemps ont porté le message dans la continuité de l’activisme militant des patients atteints du sida qui, dans les années 1990, ont démontré le danger à maintenir les frontières établies dans le champ médical entre savoirs experts et savoirs profanes.

En 2009 a été fondée l’Université des patients, créée par Catherine Tourette-Turgis au sein de l’université Pierre-et-Marie-Curie. À ce jour, ce programme pilote inclut 30 % de malades dans tous les cursus et diplômes en éducation thérapeutique (formations courtes de 40 heures, DU, masters 1 et 2, formations en e-learning pour les malades ne pouvant se déplacer ou vivant dans les pays à ressources limitées, en Afrique, à Haïti, Madagascar…). Soixante-seize malades ont suivi l’un des parcours de formation proposés. Les pathologies représentées sont multiples (sida, cancer, lupus, maladies rénales avec transplantation, maladie de Crohn, hépatite C, spondylarthrite ankylosante, hémophilie, syndrome bipolaire, diabète, maladies cardiovasculaires…)(2).

Depuis avril 2016, la Haute Autorité de santé (HAS) pilote de son côté le dispositif national de mesure de la satisfaction et de l’expérience des patients hospitalisés : e-Satis(3). Recueillir le point de vue des patients est aujourd’hui incontournable pour mesurer et améliorer la qualité des soins dans les établissements de santé. Ainsi, chaque patient hospitalisé plus de 48 heures dans une clinique ou un hôpital de médecine/chirurgie/obstétrique (MCO) peut donner son avis sur son hospitalisation à l’aide d’un questionnaire sécurisé en ligne. Le questionnaire comprend 63 questions de mesure de la satisfaction et de l’expérience de son parcours de soin. La création du service Engagement des usagers (SEU) confié à Joëlle André-Vert au sein de la direction de la communication, de l’information et de l’engagement des usagers (DCIEU) vient soutenir les ambitions de la HAS en matière d’engagement des usagers, une des priorités de son projet stratégique. Dans ce cadre, plusieurs travaux sont initiés, parmi lesquels la réalisation d’une recommandation de bonne pratique pour soutenir l’engagement des personnes, l’actualisation du cadre de coopération de la HAS avec les associations de patients et d’usagers ou encore la coordination d’une politique d’information des usagers.

D’autres initiatives apparaissent dans le même esprit, comme le développement des « patients traceurs », du métier de médiateur de santé-pair en psychiatrie par l’université Paris 13-UFR SMBH-Bobigny ou encore le développement de la méthode AmPPatI, directement adaptée de la méthode Shadowing, développée par le Patient and Family Centered Care de l’université de Pittsburgh (USA). Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une expérimentation lancée par 15 établissements volontaires de la région Rhône-Alpes en 2013(4).

Il convient cependant de demeurer réaliste. Si l’expérience patient fait son chemin, elle ne doit pas masquer les difficiles conditions de construction de la confiance entre patients, usagers et professionnels de santé. Ces derniers, et principalement les médecins, doivent faire face à la saisine croissante des conseils de l’Ordre, à la judiciarisation et aux effets délétères des avis émis dans les réseaux sociaux touchant à l’e-réputation des professionnels. Une certaine dépossession doit être acceptée entre partage des savoirs, irruption de l’intelligence artificielle et des protocoles dans la démarche thérapeutique, atteintes à la liberté de prescription, voire d’installation, délégations de tâches, revendication croissante des droits.

En outre, l’expérience patient suppose une offre de soins accessible et disponible et la réduction continue des inégalités sociales de santé. Or, les écarts d’espérance de vie entre les différentes catégories sociales persistent et les personnes les plus favorisées sur le plan socio-économique exercent un meilleur contrôle sur leur vie, leur travail, leur santé. Le déploiement de l’expérience patient doit donc éviter l’écueil d’un accroissement des inégalités.

Jean-Michel Budet
Directeur de la rédaction


(1) www.theberylinstitute.org

(2) universitedespatients-sorbonne.fr

(3) www.has-sante.fr

pasqual.sante-paca.fr

(4) www.hauts-de-france.ars.sante.fr

www.ceppraal-sante.fr