En janvier 2018, l’Ordre des médecins avait souligné, dans un ouvrage* dont j’avais assuré la coordination, la nécessité d’une analyse objective des changements à l’œuvre à la fois au sein de notre système de santé et dans celui de la formation des médecins comme des autres professionnels. Les moyens numériques et ceux de l’intelligence artificielle devaient être mis à contribution.
Nous y constations des opportunités pour améliorer encore la qualité et faciliter l’exercice des professions de santé dans la prise en charge des patients. Nous relevions aussi que le pilotage de l’organisation des soins, y compris dans sa dimension médico-sociale, nécessitait le recours au traitement algorithmique de données massives. Et nous alertions, en même temps, sur les préoccupations éthiques qui devaient accompagner la conception des outils numériques et des dispositifs innovants embarquant de l’IA.
Un peu plus de deux ans après, ce dossier de Gestions hospitalières a le grand mérite de nous ramener précisément à ce qu’est aujourd’hui le réel de cette diffusion de l’intelligence artificielle au sein de notre système de santé. Ce réel est prosaïque, efficace et non fantasmé. Des domaines avancent vite, tels celui de l’apprentissage automatique par reconnaissance d’images ou celui de la modernisation des fonctions supports, qui permet de libérer du temps médical et soignant. D’autres secteurs sont encore en retrait, alors même que la compétition mondiale pour la diffusion de ces innovations s’intensifie.
Nous abordons ici ce vaste sujet dans une approche pluridisciplinaire et sur l’ensemble de ses facettes.
Il est encore trop tôt pour tirer tous les enseignements de la gestion de la pandémie de Covid-19, mais, comme le montre ici une série de contributions, les réponses à cette crise se sont traduites dans certains pays par un recours massif à de nouveaux outils numériques et à de nouvelles méthodes de pilotage par les données de santé, comme le data tracking. Une telle situation de crise majeure montre que les digues éthiques établies peuvent être discutées et voir leur solidité mise à l’épreuve dans l’urgence des réponses immédiates à des besoins de santé soudains et massifs.
C’est pourquoi, en France, la stratégie de transformation numérique du système de santé que porte le plan « Ma santé 2022 » apparaît plus impérative que jamais. La délégation ministérielle du numérique en santé, pilotée par Dominique Pon et Laura Létourneau, coordonne en ce sens les différents acteurs nationaux et régionaux. L’Agence du numérique en santé, dirigée par Annie Prévôt et que j’ai l’honneur de présider, y apporte ses contributions opérationnelles sur de nombreux volets.
L’importance d’une régulation éthique positive du numérique et des dispositifs embarquant l’IA en santé y tient une place centrale. Le principe de « garantie humaine » de l’IA est porté dans la révision de la loi de bioéthique. S’ouvrir à l’innovation est une exigence éthique. Le primat de l’humain dans toute prise de décision médicale concernant chaque personne l’est tout autant.
Dr Jacques Lucas
Président de l’Agence du numérique en santé
* Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle, Ordre des médecins, janvier  2018.