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Numéro 511 - dĂ©cembre 2011(dossier)

Enfance, adolescence

Temps de lecture : 6 minutes

L’adolescence, notion difficile

Dans le dictionnaire Le Littré, l’entrée « adolescence » indique qu’il s’agit de « l’âge qui succède à l’enfance et qui commence avec les premiers signes de la puberté ». Ainsi, la définition de l’adolescence pose bien évidemment le problème des limites temporelles dont nous pourrions discuter sans fin. Au Moyen Âge, l’enfance se prolongeait jusqu’à l’âge adulte ; notre société contemporaine a imaginé cet âge interstitiel et transitionnel dont les limites restent floues. S’agit-il de la période où l’enfant apprend l’autonomie ? Et de quoi s’agit-il en matière d’autonomie ; à apprécier en lien avec le concept de liberté ? Ne parle-t-on pas aussi de société d’« adulescents », ces adultes qui ont du mal à sortir de l’adolescence ? Autre point de vue, ne pourrions-nous pas définir l’adulte à travers le vécu d’expériences radicales comme l’abandon, la souffrance ou la perte d’un proche ? Que dire alors des enfants malades ?

Le premier article de la première partie de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 proclame qu’« au sens de la présente convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable ». La mention de l’état civil ne permet pas non plus de distinguer le passage de l’enfance à l’adolescence. Dans le langage quotidien, si l’adolescence englobe les 12-18 ans jusqu’à la majorité atteinte, elle se définit non seulement par la phase d’apprentissage jusqu’à l’émancipation de la mainmise parentale, mais correspond aussi à des comportements typiques.

En effet, l’adolescence correspond en tant que telle à une représentation du monde, probablement dans une perspective politique, conduisant à confronter l’horizontalité du groupe versus la verticalité transgénérationnelle et intergénérationnelle de la famille. Elle correspond aussi à une recherche de détachement – et nous pouvons penser au « complexe du homard » ainsi dénommé par Françoise Dolto –, de coupure avec ses risques pulsionnels, d’addictions et de passage à l’acte, dans un contexte hormonal pubertaire. Elle correspond enfin à une tentative de réflexion concernant la capacité à réfléchir par soi-même avec ses implications diverses, qu’il s’agisse de l’esthétique et de la mode, du tissage de liens avec les parents, les professeurs, le social et le contexte professionnel… À moins de le prendre avec humour et d’affirmer que « l’enfance est un syndrome qui n’a que récemment commencé à recevoir une attention sérieuse des cliniciens. Ce syndrome de soi, cependant, n’est pas du tout récent : au VIIIe siècle, l’historien persan Kidnom fait référence à “des créatures bruyantes”, qui pourraient bien avoir été ce que nous appelons aujourd’hui “enfants”. Le traitement des enfants, cependant, était inconnu jusqu’à ce siècle. […] Les cliniciens sont toujours en désaccord au sujet des caractéristiques importantes cliniques de l’enfance, mais la proposition du DSM-IV qui sera certainement adoptée comprend les caractéristiques essentielles suivantes : survenue congénitale, nanisme, labilité émotionnelle, immaturité, déficit de connaissances, anorexie face aux légumes. […] De toute évidence il faudra encore beaucoup de recherches avant de pouvoir donner un espoir réel aux millions de victimes de cette insidieuse maladie(1) ».

Une multiplicité de modes de prise en charge

La rédaction de Gestions hospitalières a souhaité présenter les nouveaux types de structures sanitaires impliqués dans la prise en charge des adolescents et leur complémentarité avec d’autres modes de prise en charge.

L’adolescence, souvent définie sur un plan de la médecine comme un passage où les états émergent brusquement et avec une forte intensité, est aussi au croisement de plusieurs logiques lorsque la souffrance pose problème, soit pour le jeune, soit pour ses proches. Pour y répondre, se sont petit à petit mises en place des structures répondant à trois dimensions principales en fonction de l’orientation de la souffrance de l’adolescent : des structures sanitaires, des structures éducatives et des centres fermés. L’image souvent répétée « d’un adulte en devenir » confirme le choix généralement laissé à la liberté des plus jeunes et à l’idée que, malgré les crises ou les déviances, une prise en main unique n’est pas possible et ne doit pas l’être. Dans la plupart des établissements ou des centres qui accueillent des enfants ou des adolescents, nous remarquons le caractère pluridisciplinaire des interventions : soin, accompagnement social, éducation, voire contrainte juridique. Dans les différentes expériences présentées dans ce numéro, cette problématique est sensible. Il existe en effet un accompagnement scolaire en milieu hospitalier ou en maison d’accueil, un suivi social en foyer de l’enfance et une politique de prévention des addictions ou de soin psychologique en centre éducatif fermé. Ces approches souvent différentes se rejoignent pour signifier que la société se doit aussi de faire une place à la fragilité de certains adolescents dont les représentations se construisent entre la jouissance immédiate des biens et les responsabilités de la venue à l’âge adulte.

Cette prise en charge des adolescents en milieu sanitaire et médico-social met aussi en garde contre la confusion qui voudrait voir les plus jeunes traités comme des adultes, en jouant sur les nouvelles formes de violence ou la maturité (et donc la majorité) supposée plus tôt atteinte dans la nouvelle génération. De nombreux établissements d’accueil (maison des adolescents, centre éducatif, foyer de l’enfance) réalisent un éloignement et une prise en charge spécialisée propices à la construction des plus jeunes en situation de souffrance, à l’abri d’une certaine forme de catégorisation adulte.

Des équipes dédiées, des services de soins et lieux spécifiques

La prise en charge des adolescents dans les structures publiques de soins n’est pas nouvelle : les adolescents étaient pris en charge de facto et parfois « ballottés » entre services de pédiatrie et services adultes.

L’histoire des services de soins, ainsi que le démontre Patrice Pinell dans son ouvrage Naissance d’un fléau, histoire de la lutte contre le cancer en France, montre que c’est aussi pour que les enfants ne soient pas malmenés ou exposés aux turpitudes des adultes que la pédiatrie a vu le jour. Ce sont pour des raisons un peu adjacentes que les équipes dédiées à la prise en charge des adolescents ont été imaginées : ne pas trop infantiliser les ados dans des services où tout est miniature (pédiatrie), ne pas les effrayer au contact de la froideur dommageable des lieux de prise en charge des adultes… Il s’agit donc d’un phénomène prenant part au mouvement général de construction de types de prise en charge holistique selon les âges de la vie (pédiatrie, adolescence, adulte, gériatrie). La France n’a peut-être pas été en avance avec la création des maisons des adolescents, impulsée sur le territoire en 2004, ces efforts d’ajustement de prises en charge étant, à cette date, déjà bien présents dans le monde anglo-saxon, au vu de publications par exemple sur la nécessité de construire des unités d’oncologie dédiées (teenage units) en ce qui concerne l’oncologie pédiatrique. En tout cas, force est de constater que ce système doit avoir du bon : les maisons des adolescents (MDA) ont fleuri, et une place singulière leur est faite dans ce numéro, avec un premier bilan de leur existence dans le paysage sanitaire.

De quoi s’agit-il ? Les MDA ont pour vocation de prendre soin des adolescents sur les plans médical et psychologique, de les informer et de les aider au développement d’un projet de vie – ce qui inclut des dimensions éducatives, sociales et juridiques – et de garantir la cohérence et la continuité des prises en charge. Ces structures favorisent chez les professionnels une culture commune de l’adolescence et permettent d’organiser l’expertise interprofessionnelle ainsi que le décloisonnement des secteurs d’intervention. La MDA n’est pas un lieu de stigmatisation : c’est un lieu de régulation des interventions, de « contenance » des dynamiques parents/enfants, un lieu où l’ado pourra piocher des éléments pour grandir mieux et souffrir moins. Ainsi que le démontre par exemple Marcel Rufo dans son travail avec les ados, la finesse de travail des équipes doit également approcher l’état de perception du sujet de sa réalité psychique, sa possibilité d’élaboration et d’autonomie, de jugement et son positionnement vis-à-vis de l’autorité, qu’elle soit parentale ou institutionnelle. Au sens de la pédopsychiatrie, l’adolescence peut être vue comme une période spécifique censée tester et tracer les limites du normal et du pathologique. Elle dépend donc du regard adulte porté sur elle, notamment dans les périodes de doute qui les caractérisent : un attendu banal à traiter, mais pouvant inclure un jeu de confrontation entre désobéissance et soumission classique, renouvelé à chaque génération. L’objectif de la MDA est de positionner correctement le curseur de l’intervention auprès du jeune patient.

Les rédacteurs de ce numéro ont également noté qu’il s’agit plus largement d’un effort de modernisation des prises en charge sanitaires, dont il paraît même souhaitable que les succès puissent s’étendre aux secteurs de prise en charge adulte. Certaines des innovations des MDA (ergonomie, place du soin psychique dans le soin somatique, réseau…) pourraient apporter considérablement aux secteurs adultes, dont la technicité et les diverses surspécialités ont parfois perdu en dimension « holistique » et par là en matière d’éthique première de la clinique. Nous avons pris plaisir à regrouper les témoignages de diverses expériences, à Paris et en province, en en soulignant l’humanité et la valeur ajoutée. Nous remercions ici le concours des équipes de soins qui ont pris du temps sur leur travail clinique pour nous en faire part.